Economie

Le maillon faible de la croissance marocaine

Le marché de l’emploi traverse une zone de turbulence. Après trois trimestres dynamiques en matière de créations nettes de postes non agricoles, la période allant de mars à juin 2025 s’est caractérisée par un net ralentissement : seuls 5 000 emplois ont été générés, contre 282 000 au premier trimestre et 257 000 au précédent. Un contraste brutal qui suscite de vives interrogations sur la capacité de l’économie nationale à maintenir une dynamique soutenue.

D’après les données du Haut-Commissariat au Plan, relayées par Bank Al-Maghrib, cette décélération ne résulte pas uniquement du recul structurel de l’agriculture, elle touche également les secteurs habituellement porteurs de l’emploi urbain. Le BTP, longtemps moteur de la reprise, n’a contribué qu’à hauteur de 74 000 postes. Les services, pourtant dominants, se sont limités à 35 000 créations, tandis que l’industrie a quasiment stagné avec à peine 2 000 nouveaux emplois. Un tel ralentissement fragilise la consommation des ménages, pilier de la croissance nationale. En 2024, la demande intérieure avait progressé de 5,8 %, puis de 8 % au premier trimestre 2025. Cette dynamique pourrait s’essouffler si la tendance du marché du travail persiste, compromettant l’objectif des autorités de maintenir une croissance au-dessus de 4 %.

Un rapport de l’Institut Royal des Études Stratégiques (IRES), intitulé « Croissance économique et création d’emplois : Pourquoi l’économie marocaine peine à créer de l’emploi ? », apporte des clés d’analyse. Il souligne que, malgré une croissance relativement robuste, l’économie marocaine peine à générer des emplois stables et de qualité. Le poids de l’informel, qui absorbe une part considérable de la main-d’œuvre, entretient la précarité, réduit les recettes fiscales et affaiblit la productivité. L’IRES met en lumière un décalage croissant entre croissance et emploi : alors qu’un point de croissance permettait de créer 30 000 postes entre 2000 et 2010, ce chiffre a chuté à environ 15 000 entre 2010 et 2019. Parallèlement, le chômage s’est aggravé, atteignant 13,6 % en 2024. Les jeunes (39,5 %), les femmes (20,8 %) et les diplômés (19,8 %) restent les catégories les plus touchées. Plus inquiétant encore, le taux d’activité est passé de 52 % en 2000 à 42,6 % en 2024.

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Le rapport de l’IRES insiste sur les failles structurelles du marché de l’emploi. Le décalage entre les formations dispensées et les besoins réels des entreprises explique le chômage élevé des diplômés. Le tissu entrepreneurial, dominé par de petites structures familiales, reste fragile, peu innovant et faiblement capitalisé. La qualité des emplois créés demeure problématique : précarité, faibles rémunérations et concentration dans le secteur informel. À cela s’ajoutent de profondes disparités régionales. Casablanca et Rabat concentrent la majorité des emplois industriels et de services, tandis que de larges pans du territoire restent en marge du développement.

Le ralentissement de l’emploi dépasse la sphère économique. Il accentue les difficultés des ménages déjà confrontés à la hausse du coût de la vie et à l’insécurité sociale. À l’approche d’échéances électorales, un chômage élevé, en particulier chez les jeunes, peut alimenter frustrations et contestations, fragilisant davantage la cohésion sociale.

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Des réformes structurelles pour transformer la croissance en emplois durables

Face à ces défis, le rapport de l’IRES propose des pistes stratégiques. Il recommande de canaliser les investissements vers des secteurs créateurs d’emplois durables, tels que l’économie verte, les énergies renouvelables et le numérique. Il insiste également sur la nécessité de réformer en profondeur le système éducatif et de formation, afin d’adapter les compétences aux besoins réels du marché. Le soutien aux PME, qui représentent 95 % du tissu économique, est jugé indispensable. Des incitations fiscales et des mesures favorisant l’innovation et l’accès au financement pourraient renforcer leur rôle dans la création d’emplois. Enfin, l’IRES plaide pour une approche territoriale des politiques d’emploi, afin de réduire les écarts régionaux et de favoriser l’intégration économique des jeunes et des femmes.

Bank Al-Maghrib continue de prévoir une croissance de 4,6 % en 2025 et de 4,4 % en 2026, portée par les exportations, le tourisme et l’investissement. Mais la Banque centrale reconnaît que la consommation intérieure, étroitement liée à la dynamique de l’emploi, demeure déterminante. Si le marché du travail ne retrouve pas de souffle, la trajectoire de croissance et la stabilité sociale pourraient être compromises. En somme, le Maroc fait face à un dilemme : transformer une croissance encore fragile en une croissance inclusive et génératrice d’emplois, ou risquer de voir s’élargir l’écart entre performance économique et attentes sociales.

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