Art & Culture

« Survivre… enfants et jeunes de la rue », un essai coup de poing de Chakib Guessous

Dans son ouvrage qu’il vient de publier, Chakib Guessous y livre, avec une approche rigoureuse et un travail nourri d’observations du terrain, une analyse du phénomène des enfants et des jeunes de la rue. Causes, motivations, situations, addictions… l’auteur propose un regard autant sociologique qu’immersif. C’est un regard enrichi de témoignages révélateurs d’une réalité trop souvent tue.   

À propos du livre

Si le phénomène des enfants et des jeunes de la rue est un problème planétaire, peu de travaux s’intéressent, au Maroc, à la réalité poignante de ceux qui vivent en marge de la société. Écrit par Chakib Guessous, cet ouvrage est le fruit de plus de 3 décennies d’engagement auprès de cette population qui oscille entre exclusion et survie.

Dans Survivre… Enfants et jeunes de la rue, le sociologue nous invite, grâce à un travail de terrain minutieux, à comprendre les dé s quotidiens auxquels ces jeunes font face : la lutte pour la survie, la quête d’identité et le désir d’appartenance. Les récits touchants sont ponctués d’analyses éclairantes basées sur une approche à la fois humaine et scientifique.

Chakib Guessous nous offre un regard sans concession sur les mécanismes de l’exclusion sociale, tout en mettant en lumière les ressources et la résilience de ces jeunes qui continuent de rêver et de se battre pour leur dignité.

Ce livre est aussi un appel à la mise en œuvre d’actions indispensables pour tenter de leur construire un avenir meilleur, une invitation à repenser notre rapport à la vulnérabilité et à la solidarité.

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Extrait de l’introduction de l’auteur

« Les informations et les réflexions rapportées dans le présent ouvrage sont basées sur les multiples études, enquêtes ou expertises personnelles effectuées depuis plus de trois décennies dans plusieurs villes du pays et d’Europe. Il s’agit, entre autres, des mineurs marocains non accompagnés vivant en Italie dans les années 1990 ainsi que des enfants et des jeunes de la rue à Tanger, Nador, Marrakech et Taroudant. À Turin (en Italie), j’avais mené pour le compte d’un programme de l’Union européenne et durant deux années une étude sur l’accueil des mineurs marocains. Ce fut mon premier contact avec des enfants dormant dans la rue. La locution même de ‘’mineur non accompagné’’ n’avait pas encore été inventée !

Depuis et dans chaque pays et ville qu’il m’a été donné de visiter, j’ai tenté, dans la mesure du possible, de rentrer en contact avec les enfants et les jeunes de la rue. À Paris, dès 2018, à la suite d’une communication avec la Mairie du XVIIIe arrondissement et après une entrevue avec l’ambassadeur du Maroc, j’ai effectué, à chacun de mes nombreux déplacements dans cette ville, des rencontres informelles avec les mineurs marocains non accompagnés durant de longues heures, essayant de connaitre les motifs de leur vie dans la rue, de leur migration et de comprendre leur situation du moment.

Dans certains pays, j’ai vainement essayé de trouver un enfant dans la rue, notamment à Chicago ou à New York où je me trouvais, justement, dans un échange universitaire et de la société civile sur les enfants en situation difficile. Dans ces villes, dès qu’un enfant est arrivé à la rue, il est immédiatement pris en charge par une institution municipale et placé chez des parents ‘’adoptifs’’ autres que ses parents biologiques, et ceci dès les premières heures de sa sortie sinon les premiers jours, avant qu’il ne ‘’goûte’’ à la vie dans la rue. À Alexandrie et au Caire, en revanche, je fus étonné par le nombre d’enfants qui dorment dans l’espace public. Certaines rues étaient pleines à craquer. Je n’ai pu les aborder ouvertement de peur d’être intercepté, voire arrêté, par la police, mais je me suis attardé la nuit pour mieux les observer et discuter furtivement avec quelques-uns.

En 2007, nous avons créé Riad Al Amal, une association qui prend en charge les personnes en situation de rue, plus particulièrement les enfants et les jeunes, en vue de leur réinsertion sociale et/ou familiale. J’y dirige à la fois le travail social et de réinsertion et les activités scientifiques. Dès la création de l’association, j’ai tenu à ce que l’on y travaille de façon professionnelle. Nous avons ainsi ouvert, pour chaque bénéficiaire, un dossier rappelant le dossier médical et qui englobe chronologiquement tous les éléments de sa vie. Ce dossier est complété lors des interrogatoires réguliers ultérieurs. La masse des informations ainsi collectées permet de connaitre parfaitement la problématique de ceux qui fréquentent l’association parmi les résidants de la rue, mais aussi d’appréhender des données sur des éléments transversaux comme leurs squats, les lieux qu’ils fréquentent…

Durant les cinq premières années de l’existence de l’association, je me suis entretenu, quasi quotidiennement, avec des centaines de personnes résidantes de la rue. Dans ces entretiens, dont certains ont duré plusieurs heures, j’ai usé concomitamment des techniques de l’interrogatoire médical et de celles de l’entretien sociologique libre. En anthropologue averti, j’ai constamment mis en confiance mon interlocuteur en prenant le temps de lui expliquer le but de l’entretien et sa portée sur la totalité des personnes résidantes de la rue et non sur lui-même individuellement, et en le rassurant quant à l’anonymat et à sa totale liberté d’arrêter l’entretien à tout moment ou de refuser à répondre à des questions. J’ai été étonné par la rareté des refus. Probablement que ceci est-il dû aux conditions de réalisation de l’entretien, dans un lieu confortable (comparativement aux conditions de la rue) loin du bruit, juste après que le bénéficiaire eut déjeuné (un repas réputé de bonne qualité par les résidants de la rue). J’entamais l’entrevue en lui proposant du thé à la menthe, servi à la manière de sa région. Nous discutions quelques minutes de sa ville natale et avec un peu de chance, moi qui ai sillonné plusieurs fois le pays, je retrouvais des lieux que je pouvais lui citer, des places dans des villages éloignés, voire dans des bourgs, et nous pouvions partager nos souvenirs ou nos impressions à leur sujet. La mise en confiance opérait son charme.

Si au début, ces entretiens n’étaient pas directifs, ils le sont devenus au fil des mois, plus orientés pour recueillir le maximum d’informations souhaitées. Ils ont permis de récolter des renseignements utiles, précis, pertinents, sensibles et souvent intimes. Ce qui a donné lieu à des témoignages très poignants de vérité et de spontanéité. Dès les années 2010, j’ai mené de nombreuses enquêtes et études statistiques à Casablanca portant sur la sociologie des personnes résidantes dans la rue, leurs causes de sortie, le processus de leur sortie, la sexualité en milieu de rue, le protocole de réinsertion… »

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