Sandra, 57 ans sur son deuil : « La mort de ma fille a été d’une violence inouïe »
Un deuil insurmontable. Aucun parent ne peut jamais se préparer à l’impensable : enterrer son propre enfant. Le jour où sa fille aurait fêté ses 20 ans, Sandra l’a perdue brutalement dans un tragique accident de voiture. « J’ai deux enfants. J’en aurai toujours deux, quoi qu’il arrive. Thibaut, qui a 28 ans aujourd’hui, et Axelle, qui aura éternellement 20 ans », souffle la mère endeuillée.
Des années après cette brutale disparition qui a fait de sa famille unie et un peu « bisounours » un champ de ruines, cette femme de 57 ans tente de « surmonter la souffrance en cherchant des ressources » dans les croyances spirituelles. Au quotidien, sa thérapie passe parle le fait de continuer à faire vivre Axelle dans les discussions, mais aussi en cultivant un lien avec sa fille, à travers l’au-delà.
Au moment où sa fille meurt, Sandra s’endort
Le visage marqué par l’émotion, Sandra, que ELLE a pu rencontrer grâce au site Happyend.life, raconte comment sa vie a basculé, dans ce même endroit où elle a appris la mort de sa fille : chez elle, dans sa maison des Landes. « Axelle allait avoir 20 ans le 12 octobre 2019. Elle faisait des études en urbanisme à Périgueux, et elle m’avait envoyé un message pour me dire qu’elle ne voulait pas faire de grande fête le samedi soir, car elle avait un match de handball important le dimanche matin. » Elle avait décidé de fêter son anniversaire le vendredi soir avec quelques amis dans son appartement, avant de prendre la route le lendemain matin.
Une décision qui bouleverse les habitudes de la jeune femme : elle prenait normalement le train pour rentrer chez ses parents. « Ne prends pas mon billet. Finalement, je rentre en voiture avec Laura », a écrit Axelle à sa mère, deux jours plus tôt. Laura était son amie d’enfance. « Je me dis parfois qu’il y a des choses immuables, comme une sorte de destin », dit Sandra, d’un ton philosophe, le cœur lourd. Le sort veut que le lendemain matin, Laura est malade. Elle est dans l’incapacité de prendre le volant… Axelle décide de conduire et envoie un message à sa mère à 11h14. Et puis… l’accident a eu lieu. « Cela s’est passé très peu de temps après leur entrée sur l’autoroute », raconte Sandra, la voix blanche.
La voiture est lancée à 120km/h sur l’autoroute, lorsqu’un faisan surgit du paysage. La voiture devant elle, parvient à éviter l’animal, mais Axelle perd le contrôle de son véhicule et fait une embardée. « La nature nous l’a donné, comme elle nous l’a reprise », estime Sandra. Avant d’ajouter : « D’après ce qu’on nous a dit, elle est décédée sur le coup. Laura a réussi à sortir de la voiture. Elle a été grièvement blessée. Physiquement, elle s’en est sortie, mais psychologiquement, c’est plus complexe. »
À l’heure précise où sa fille perd la vie, Sandra adopte un comportement étrange sans pouvoir se l’expliquer. Elle tombe dans un profond sommeil sur les genoux de son mari, comme si elle sombrait dans une sorte de coma. D’ordinaire, cette « maman poule » se serait inquiétée du retard de sa fille, mais ce jour-là, elle était apaisée. Comme si elle savait déjà.
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Face à la douleur, un cerveau en pilotage automatique
Un coup de téléphone rompt le silence. Son mari décroche et sort sans rien dire. « Depuis ma fenêtre, j’ai vu des gendarmes. Mon mari avait la tête dans les mains, se souvient-elle. Je le voyais secouer la tête, comme s’il disait “non”. Pourtant, je ne ressentais rien, aucune émotion, comme si mon esprit refusait de réfléchir. » Quand il revient auprès de Sandra, les mots sortent brutalement : « Axelle a eu un accident de voiture, elle est morte. »
Elle n’aurait jamais cru entendre ces mots. Elle s’effondre au sol, et crie de douleur comme une louve qui a perdu son petit. Avec du recul, Sandra comprend que son mari ne pouvait pas dire les choses autrement. « La perte d’Axelle a été d’une violence inouïe, que ni le cœur ni le cerveau ne peuvent accepter immédiatement », confesse Sandra. La douleur est telle que son cerveau se met en pilote automatique comme dans un mécanisme de protection.
« Ce sont des sujets auxquels on ne pense pas, particulièrement pour une jeune fille de 20 ans »
Organiser les obsèques de sa fille a été une des épreuves les plus difficiles de sa vie, d’autant qu’elle n’avait aucune idée de ses dernières volontés. « Ce sont des sujets auxquels on ne pense pas, particulièrement pour une jeune fille de 20 ans. » Même si mère et filles ont discuté de spiritualité deux ans avant l’accident, « évoquer sa mort n’était jamais venue, car cela semblait inconcevable », précise-t-elle.
Avec son mari, elle décidera de ne pas disperser ses cendres pour garder « un lieu tangible » où chacun pourrait se recueillir. Ce lieu est devenu « le jardin d’Axelle », un espace empreint de souvenirs au milieu du cimetière de leur ville.
Dans les préparatifs, Sandra a la chance de croiser la route d’un prêtre d’une rare bienveillance, qui va faire de cette cérémonie un hommage profondément personnel. Avec émotion, Sandra se souvient du clapping organisé dans l’église, un geste inspiré de la tradition des matchs de handball qu’Axelle affectionnait tant. Ce moment, simple en apparence, a marqué les esprits et fait revivre l’esprit de cette jeune femme lumineuse et sportive, l’espace d’un instant.
Un long processus spirituel en guise de deuil
Le processus du deuil, pour Sandra, n’a pas suivi une ligne droite. Il a commencé par une fracture de l’espace temps, car il y a un « avant » et un « après » la perte d’Axelle. « Le deuil n’a pas de temporalité », dit-elle. Le mot lui-même, dérivé du latin « dolore », signifie « éprouver la douleur », et cette douleur est inquantifiable, selon elle. En tentant de définir au mieux cette perte « contre-nature » qu’est celle d’un enfant, Sandra cite le poète Kahlil Gibran, qui disait que « la mort vous met à nu, qu’elle vous dépouille de tout ». Pourtant, dans cette sensation de vide absolu, Sandra trouve l’impulsion de se reconstruire, et cette reconstruction est passée par ce qu’elle appelle « un chemin de transformation », un long parcours spirituel qui l’a progressivement guidée vers la lumière. Cette main qui l’emmène vers le mieux, c’est celle de sa fille. Elle en est persuadée.
La spiritualité prendra une place déterminante dans son existence. Elle évoque les premiers instants après sa mort, où son être est « brisé en mille morceaux ». Puis, ces moments où elle parvient enfin à « ramasser les morceaux » de son âme, non pas pour revenir à ce qui était en place avant, mais pour se réinventer.
Elle raconte comment la mort d’Axelle l’a paradoxalement réconcilié avec la vie.« Avant de la perdre, je souffrais énormément de mon enfance difficile. J’étais même suicidaire », confie-t-elle. Après 20 ans dans le même travail, elle prend le risque de tout quitter et reprend ses études pour devenir gestalt thérapeute, une technique américaine qui responsabilise le patient et l’incite à vivre l’instant présent. Elle fonde même une association qui vient en aide aux parents endeuillés.
« Je savais que la lumière était le seul endroit où je pourrais la retrouver »
Le départ de sa fille change profondément sa façon d’habiter le monde. « Je savais que la lumière était le seul endroit où je pourrais la retrouver », dit-elle. La mort de sa fille lui fait comprendre le précieux de l’existence : « Il ne fallait pas qu’elle soit morte pour rien. » La nuit, il lui arrive souvent de la rejoindre en rêves. Son rapport au spirituel prend cette forme, mais aussi celle de signes, de présences qu’elle ressent, qui viennent la conforter dans l’idée qu’Axelle l’accompagne, à chaque pas.
Dans un rêve particulièrement marquant, elle entendra même sa fille lui dire : « Maman, fais-moi confiance, tu comprendras tout, tu sauras pourquoi tout est ainsi, tu seras heureuse, on se retrouvera. » Ces rencontres par-delà la mort font partie de son processus de guérison, l’aidant à progressivement lâcher prise. Ces phénomènes dont beaucoup de personnes endeuillées témoignent sont désignés par le terme de VSCD (Vécus Subjectifs de Contact avec un Défunt).
Cependant, le chemin spirituel de Sandra a aussi été semé de doutes, de colères et de culpabilités. Elle admet que ces signes, loin de la réconforter immédiatement, ont aussi engendré une forme de lutte intérieure. Un jour, un ostéopathe lui a dit qu’elle « se tenait au fil » d’Axelle, comme si elle empêchait sa fille de partir. « J’ai ressenti une culpabilité immense », confie-t-elle, « comme si je la retenais de partir là où elle devait être ».
Et cette culpabilité a vite cédé la place à une immense colère envers sa fille, comme si elle lui en voulait de l’abandonner. Ce n’est que plus tard qu’elle trouve un carnet rempli de citations qui appartenait à Axelle. En l’ouvrant, elle a lu : « Et moi, comment je ferais sans toi ? Et l’univers, comment ferait-il sans toi ? » Deux phrases qui l’ont instantanément libérée de ce poids.
Les signes de ta présence: Le témoignage bouleversant d’une mère en lien avec sa fille dans l’au-delà (Éditions Leduc)