À Rabat, l’Afrique s’unit pour désarmer et réintégrer les enfants soldats
La Conférence ministérielle africaine sur le Désarmement, la Démobilisation et la Réintégration (DDR) des enfants soldats, tenue à Rabat le 20 novembre 2025, a mis en évidence l’urgence d’une réponse continentale face à l’une des tragédies humaines les plus poignantes de notre époque. Sous l’égide du Royaume du Maroc, cette rencontre a transcendé la simple délibération pour s’ériger en un appel solennel à l’action, incarnant la responsabilité commune et l’engagement résolu à relever ce que les participants ont qualifié de « défi moral le plus urgent ».
Le ministre des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, M. Nasser Bourita, a posé un diagnostic sans concession, pointant du doigt le vide juridique persistant et l’absence d’une base légale commune en Afrique pour lutter efficacement contre ce fléau. Devant l’ampleur du phénomène – avec une estimation alarmante de 120 000 enfants soldats sur le continent, soit 40% du total mondial – l’heure n’est plus à l’atermoiement. M. Bourita a insisté sur la nécessité pour l’Afrique de se doter d’un instrument juridique adapté à ses réalités, un outil qui constituerait une « avancée historique » en articulant les normes internationales existantes avec les drames vécus sur le terrain. Un tel dispositif renforcerait la capacité des États à poursuivre les auteurs de ces crimes, qu’ils soient individus ou dirigeants de groupes armés.
L’intervention marocaine a également mis en lumière la dimension politique et sécuritaire du problème, dénonçant avec la plus grande fermeté l’exploitation des enfants par les mouvements séparatistes et les groupes terroristes. Ces entités, agissant « en toute impunité », sapent tous les efforts de stabilisation et transforment l’enfance en un instrument de terreur. Face à cette intolérable instrumentalisation, le Maroc, fidèle à l’esprit de solidarité et de destin commun défendu par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, a proposé la création d’un « Groupe des amis du désarmement, de la démobilisation et de la réintégration (DDR) axé sur les enfants ». Ce groupe aurait pour mission de capitaliser sur l’expertise juridique et le leadership politique pour aboutir à une Convention africaine sur la prévention du recrutement et la réintégration des enfants associés aux conflits armés.
Le Sahel et l’urgence d’une réinsertion holistique des enfants affectés par la guerre
La tragédie du Sahel a trouvé un écho particulier dans le discours de M. Bakary Yaou Sangaré, ministre des Affaires étrangères du Niger. Le Sahel est confronté à une « tragédie insidieuse » où l’armement forcé ou abusif d’enfants par des groupes armés terroristes est une réalité quotidienne. Pour le Niger, la protection de l’enfance est une « pierre angulaire » de sa politique nationale. Le pays a ainsi développé une stratégie nationale de DDR qui intègre des approches spécifiques, plaçant l’intérêt de l’enfant toujours en avant. Cette stratégie prévoit notamment la mise en place de centres d’orientation communautaire et un accompagnement social spécialisé, visant à prévenir toute forme de récidive ou de stigmatisation. Fort de cette expertise reconnue, le Niger s’affirme comme un exemple régional en matière de DDR, allant jusqu’à prendre l’initiative d’organiser un forum régional pour harmoniser les pratiques et renforcer la coopération entre les États du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest. En investissant dans la récupération et l’avenir de ces enfants, le Niger sème les graines d’une nouvelle génération capable de rejeter la violence et de participer à l’édification d’une société plus juste et résiliente.
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Au-delà des cadres juridiques et des stratégies nationales, la Conférence a rappelé l’impératif d’une réintégration holistique et centrée sur l’humain. M. Timothy Musa Kabba, ministre des Affaires étrangères de la Sierra Leone, a souligné la dimension profondément traumatique de l’expérience des enfants soldats, évoquant le processus GTI qui a concerné plus de 30 000 enfants dans son pays. La réintégration, a-t-il insisté, est un « impératif moral » et un processus délicat qui doit être perçu comme une « histoire à raconter« , et non comme une simple procédure technique.
Le ministre des Affaires étrangères de la Gambie, M. Sering Modou Njie, a complété cette perspective en détaillant les principes d’une approche durable. Ces cinq piliers soulignent que le processus DDR est bien plus qu’une simple opération technique, il s’agit d’un investissement à long terme dans la dignité humaine, en vue de rompre les cycles de violence.
Le premier principe est l’approche centrée sur l’enfant, stipulant que le bien-être et les besoins uniques des enfants doivent primer sur toute autre considération. Vient ensuite la priorité donnée à la réhabilitation, où la guérison et le rétablissement de la santé mentale doivent l’emporter sur les impératifs de sécurité ou d’intimidation. La programmation inclusive est également essentielle, garantissant que les enfants vivant avec un handicap et les filles, souvent victimes de violations spécifiques, soient pleinement reconnus et soutenus. Enfin, la préparation communautaire est indispensable, car la réintégration ne peut réussir sans l’acceptation et le soutien total des communautés d’accueil, le tout soutenu par un investissement soutenu, reconnaissant que la réintégration est un processus de longue haleine nécessitant un financement continu et un engagement politique volontaire.
En définitive, la Conférence de Rabat a réaffirmé que l’avenir de l’Afrique repose sur la protection et l’épanouissement de sa jeunesse. L’image de l’enfant qui troque l’arme contre le manuel scolaire demeure le symbole le plus puissant de la paix. Les enfants dont il est question ne sont pas de simples victimes passives, ils sont les futurs citoyens, le socle de la stabilité et du développement.
Vers une convention africaine pour le désarmement et la réintégration des enfants
L’engagement collectif s’est manifesté par la convergence des propositions. Le ministre de la Défense de la Mauritanie, M. Hanana Ould Sidi, a insisté sur la nécessité de transformer ce forum en une plateforme d’engagement et de responsabilité, en adoptant des programmes visant le désarmement et la réintégration économique des enfants.
Dans le même esprit de coordination, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération Internationale du Malawi, Dr. George Chaponda, a rappelé l’importance d’une approche légale et institutionnelle, citant l’adoption de lois nationales de protection de l’enfance et la collaboration avec des organisations internationales comme l’UNICEF et l’OIM. De son côté, la ministre de la Défense du Libéria, Mme Geraldine Janet George, a souligné les efforts concrets de son pays, mentionnant des projets d’aide pour 11 000 enfants et l’intégration communautaire, insistant sur le fait que l’on ne doit pas oublier ceux qui restent. Enfin, le ministre libyen de la Jeunesse, M. Fathallah Al-Zani, a réitéré l’appel à la rationalisation des ressources et à la mobilisation de solutions financières adaptées pour un financement durable des efforts continus.
L’adoption d’un cadre de travail coordonné et d’une convention africaine est indispensable non seulement pour la stabilité du continent, mais pour la dignité humaine et l’édification d’un avenir où l’enfance sera synonyme d’espoir et non de conflit. L’engagement collectif pris à Rabat est un pas décisif vers cet horizon.

