Economie

une flambée des prix révélatrice des tensions structurelles du secteur

Entre sécheresse prolongée, dépendance accrue aux importations et mesures publiques à l’efficacité limitée, les prix des viandes rouges ont pesé lourdement sur le pouvoir d’achat des ménages marocains en 2024, selon Bank Al-Maghrib.

L’envolée des prix des viandes rouges au Maroc en 2023 et 2024 constitue l’un des faits saillants de la dynamique inflationniste récente. Longtemps considérée comme un marqueur de la consommation alimentaire des classes moyennes, la viande rouge est devenue un produit de plus en plus inaccessible pour de larges franges de la population. Dans son rapport annuel 2024, Bank Al-Maghrib consacre un encadré analytique à cette évolution préoccupante, mettant en lumière les causes, les réponses politiques et les limites structurelles de la filière.

Représentant à elle seule 13,5 % des dépenses alimentaires des ménages, selon les résultats de l’Enquête Nationale sur le Niveau de Vie des Ménages 2022–2023 publiée par le Haut-Commissariat au Plan (HCP), la viande rouge occupe une place centrale dans le panier de la ménagère marocaine. Jusqu’en 2017, les prix sont restés relativement stables, progressant à un rythme modéré de 1 % en moyenne annuelle, sans volatilité excessive. Mais ce calme apparent s’est brisé à partir de 2018, avec une montée en régime progressive de l’inflation dans ce poste de consommation : +5 % en 2018 et 2019, puis un bref répit en 2020 et 2021 marqué par un recul conjoncturel des prix en raison des effets économiques de la pandémie.

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À partir de 2022, le secteur entre dans une zone de turbulences. La succession des années de sécheresse, conjuguée à la hausse des coûts de l’alimentation animale, à la contraction du cheptel national et à la déstabilisation des circuits logistiques, a entraîné une explosion des prix : +15,1 % en 2023, suivie de +11 % en 2024. Bank Al-Maghrib souligne que cette composante seule a été la principale source d’inflation moyenne sur les deux dernières années. Sans cette hausse, l’inflation globale en 2024 aurait été contenue à 0,5 % au lieu des 0,9 % observés, tandis que l’inflation sous-jacente aurait été limitée à 1,4 % contre 2,2 %.

Face à la tension sur les prix, le gouvernement a engagé plusieurs mesures pour contenir l’offre et éviter un emballement social, notamment à l’approche de fêtes religieuses sensibles comme l’Aïd al-Adha. Parmi ces mesures figurent l’exonération des droits de douane sur l’importation d’animaux vivants et de viandes congelées, des subventions spécifiques à l’importation d’ovins destinés à l’abattage, des incitations pour la préservation et la reconstitution du cheptel national.

Toutefois, comme le note Bank Al-Maghrib, « l’efficacité de ces mesures est restée limitée ». En cause, les dysfonctionnements persistants du marché : manque de traçabilité, forte concentration des circuits de distribution, spéculation sur les prix à la production et à la revente, et faiblesse des instruments de régulation. La forte dépendance du Maroc à l’égard des conditions climatiques, couplée à une gouvernance sectorielle morcelée, a empêché une réponse coordonnée et anticipatrice.

Le climat de tension a atteint son paroxysme début 2025. Le 26 février, dans un geste exceptionnel et à forte portée symbolique, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a appelé les Marocains à s’abstenir d’accomplir le sacrifice du mouton pour l’Aïd al-Adha, une décision inédite en temps de paix, qui marque un tournant dans la prise de conscience des autorités sur la gravité de la situation.

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