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Quand l’algorithme dicte l’agenda, où passe l’intérêt général ?

Entre vidéos virales, stories soigneusement mises en scène et messages calibrés pour les algorithmes, la parole politique marocaine a profondément changé de format. Ce basculement interroge le sens de l’engagement public, la nature du lien entre responsables et citoyens, ainsi que les limites d’une communication devenue, parfois, une fin en soi.

La communication politique marocaine a connu, ces dernières années, une évolution majeure. Partis, élus et ministres ne se contentent plus des médias traditionnels, comme ce fut longtemps le cas. Désormais, leur présence en ligne est devenue systématique. Cette stratégie vise à toucher un public plus large, à instaurer une relation directe avec les citoyens et à valoriser l’action publique.

L’évolution de la communication politique

Au Maroc, la communication politique s’est longtemps appuyée sur les médias traditionnels. Les partis et les responsables publics utilisaient principalement la presse écrite, la radio, la télévision et les meetings. L’information circulait de manière verticale, du responsable vers le citoyen, avec peu d’interaction directe. Cette communication était institutionnelle, formelle et souvent limitée aux périodes électorales ou aux situations de crise.

L’émergence d’Internet et l’essor des réseaux sociaux ont profondément modifié ce schéma. Facebook, Instagram, X et TikTok ont transformé les modes d’expression politique, permettant aux acteurs publics d’adopter une communication plus régulière, plus accessible et davantage visuelle. Cette mutation a favorisé un contact direct et continu avec les citoyens, tout en introduisant une dimension interactive jusqu’alors marginale.

Des stratégies de visibilité assumées

Partis politiques, élus, ministres et même institutions gouvernementales mobilisent aujourd’hui une palette de stratégies numériques pour renforcer leur visibilité. Leur présence sur Instagram, Facebook, X ou TikTok est devenue un passage obligé pour construire et entretenir leur image publique. Les publications se déclinent en photos, vidéos courtes (reels) et stories mettant en scène leur activité quotidienne.

Désormais assimilés à des créateurs de contenu, nombre de responsables privilégient des formats favorisant l’interaction : sessions de questions-réponses en vidéo, extraits de podcasts, messages filmés face à la caméra ou stories adressées directement aux internautes. Certains n’hésitent pas à collaborer avec des membres de la société civile, des artistes ou des influenceurs, dans l’objectif d’élargir leur audience, notamment auprès des jeunes, et d’amplifier la portée de leurs messages.

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Quand la communication politique change de nature

Au Royaume, la communication politique a ainsi changé de nature. Cette évolution progressive est aujourd’hui pleinement visible sur les réseaux sociaux, où ministres, députés et partis occupent l’espace numérique avec une régularité et une mise en scène qui empruntent parfois davantage aux codes de l’influence qu’à ceux du débat public. Instagram, Facebook, X et TikTok sont devenus des outils centraux de l’action politique, non seulement pour informer, mais aussi pour construire une image, fidéliser une audience et capter l’attention dans un environnement numérique saturé.

Ce phénomène concerne en premier lieu les responsables politiques eux-mêmes, qui ont peu à peu délaissé le langage institutionnel au profit de formats courts et personnalisés. Les publications ne se limitent plus aux décisions adoptées ou aux textes de loi examinés. Elles mettent en avant déplacements, réunions et prises de parole filmées, souvent montées et scénarisées.

L’objectif affiché est de rapprocher l’élu du citoyen, de montrer une présence constante sur le terrain et une disponibilité permanente. Dans les faits, cette stratégie s’inscrit dans une logique de visibilité continue, largement dictée par les règles et les temporalités des plateformes numériques.

Cette dynamique s’est accélérée lors de la campagne législative de 2021, qui a marqué un tournant dans l’usage du marketing digital par les partis politiques. Le Rassemblement national des indépendants (RNI) avait alors massivement investi dans la publicité en ligne, en s’appuyant sur des contenus vidéo calibrés pour les réseaux sociaux et diffusés à grande échelle grâce au sponsoring.

Les données publiques des plateformes ont révélé des dépenses significatives consacrées à la promotion de messages politiques ciblés, une pratique jusque-là marginale dans le paysage électoral marocain. Cette stratégie a contribué à installer l’idée que la compétition politique se jouait aussi, voire principalement, sur les écrans.

Depuis, cette logique s’est généralisée. L’ensemble des partis, y compris ceux disposant de moyens plus modestes, ont renforcé leur présence sur TikTok, Instagram et Facebook. Les élus publient désormais presque quotidiennement, cherchant à démontrer leur utilité par l’image et la narration plus que par le débat programmatique. Le travail parlementaire, complexe et souvent peu visible, est ainsi reformulé en séquences courtes, adaptées aux exigences algorithmiques.

La personnalisation du pouvoir au détriment du projet collectif

Cette transformation soulève plusieurs questions de fond quant à la nature du lien entre représentants et citoyens. La première concerne la personnalisation croissante de la vie politique. La communication se concentre de plus en plus sur les individus, au détriment des institutions et des projets collectifs.

Certains ministres adoptent des formats proches de ceux des influenceurs, avec un ton direct, un montage dynamique et une mise en scène soignée. Si cette approche permet de toucher un public plus jeune, elle tend également à déplacer l’attention vers la figure publique elle-même, au détriment de l’évaluation de l’action menée.

Un autre enjeu réside dans l’illusion de proximité créée par cette présence numérique permanente. Publier des images lors de visites de terrain – dans un souk ou dans une zone touchée par une catastrophe naturelle – ne garantit ni un suivi effectif ni une prise en charge durable des problèmes constatés.

Lors du séisme d’Al Haouz ou d’épisodes récents de catastrophes, de nombreuses images ont circulé montrant des responsables sur place. Pourtant, pour les populations concernées, la résolution des difficultés s’inscrit dans un temps long, bien au-delà de celui de la publication. La communication autour de l’action tend alors, parfois, à se substituer à l’action elle-même.

En définitive, l’émergence des politiciens-influenceurs au Maroc traduit une adaptation rapide à un environnement numérique en constante mutation. Si cette évolution répond à une demande de communication directe et immédiate, elle comporte aussi des risques réels pour la qualité du débat public et la confiance des citoyens. À mesure que l’écart entre l’image projetée et la réalité vécue se creuse, la crédibilité de la parole politique pourrait s’en trouver durablement fragilisée.

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