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Gazoduc Afrique Atlantique : le Sahara, nouveau cœur énergétique du continent

Long de près de 7.000 kilomètres et estimé à 25 milliards de dollars, le gazoduc Afrique Atlantique, reliant le Nigeria au Maroc, s’impose comme le plus ambitieux projet énergétique du continent. Traversant treize pays d’Afrique de l’Ouest, il promet non seulement de sécuriser l’approvisionnement en gaz de plus de 600 millions de personnes, mais aussi de transformer les provinces du Sud marocaines en véritables hubs industriels et logistiques. Véritable colonne vertébrale énergétique panafricaine, ce corridor gazier incarne la vision du Maroc pour une Afrique interconnectée, compétitive et tournée vers l’Europe.

Au large du Sahara, se joue une partie stratégique de l’avenir énergétique du continent africain. C’est ici, dans les provinces du Sud marocaines, que prendra forme l’un des chantiers les plus colossaux jamais entrepris en Afrique, le gazoduc Afrique Atlantique, reliant le Nigeria au Maroc sur près de 6.900 kilomètres.

Derrière les chiffres, 25 milliards de dollars d’investissement, 13 pays traversés et 30 milliards de mètres cubes de gaz transportés chaque année, se dessine une ambition politique, économique et géostratégique sans précédent. Il s’agit de faire de l’Afrique de l’Ouest un bloc énergétique intégré et du Maroc et son Sahara le carrefour atlantique de cette transformation.

Le projet, initié en 2016 à la suite de la visite du Roi Mohammed VI à Abuja, illustre parfaitement la stratégie marocaine de co-développement africain. Ce corridor énergétique, fruit d’un partenariat entre l’Office national des hydrocarbures et des mines (ONHYM) et la Nigerian national petroleum company (NNPC), vise à connecter le gisement gazier géant du delta du Niger aux marchés ouest-africains, marocains et européens.

Le tracé traversera le Bénin, le Togo, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Liberia, la Sierra Leone, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Gambie, le Sénégal, la Mauritanie et le Maroc, avant de rejoindre le gazoduc Maghreb-Europe et le réseau énergétique européen. Dans un contexte de recomposition des marchés mondiaux du gaz, marqué par les tensions en Europe et la compétition entre fournisseurs, le Maroc mise sur son positionnement atlantique pour devenir la porte d’entrée énergétique de l’Afrique vers l’Europe.

Comment ça marche?
Le gazoduc Afrique Atlantique, évalué à vingt-cinq milliards de dollars, sera réalisé en plusieurs phases. Le segment sud-est, reliant le Nigeria à la Côte d’Ivoire, est estimé à sept milliards de dollars. Le segment central, de la Côte d’Ivoire au Sénégal, nécessitera 8 milliards, tandis que le segment nord, reliant le Sénégal au Maroc, représente 11 milliards de dollars. Les premières mises en chantier sont attendues en 2027, avec une mise en service prévue vers 2031.

Le financement, structuré à 80% par emprunt et à 20% par capital-investissement, bénéficie déjà de soutiens solides, notamment de la Banque islamique de développement, du Fonds OPEP, de la Banque européenne d’investissement ainsi que de nouveaux partenaires du Golfe et des États-Unis. La rentabilité du projet, estimée à plus 12%, attire déjà plusieurs fonds souverains et investisseurs spécialisés dans les infrastructures énergétiques. Si le gazoduc est un projet continental, son ancrage opérationnel sera marocain. C’est dans le Sud que tout converge.

Cette région saharienne devient le maillon terminal du pipeline avant son raccordement au réseau maghrébin et européen. L’objectif est de faire des provinces du Sud un hub d’industrie verte, lourde mais durable, avec un accès au gaz naturel, à l’hydrogène vert et à l’électricité propre. Le tronçon marocain, long d’environ 1.600 kilomètres, reliant Nador à Dakhla, mobilisera 6 milliards de dollars. Il s’inscrit dans une dynamique d’intégration des infrastructures nationales, reliant les principaux pôles énergétiques et industriels du Royaume.

Pour les treize pays traversés, le gazoduc représente bien plus qu’un simple pipeline. Il constitue un levier de transformation économique majeure. La région ouest-africaine affiche une croissance moyenne de 3,8% par an, mais elle reste freinée par des coûts énergétiques élevés et une dépendance au fioul et au charbon. L’accès à un gaz africain bon marché et stable permettra de réduire de vingt à trente pour cent les coûts de production électrique, d’assurer une meilleure fiabilité des réseaux et de soutenir la création de pôles industriels régionaux.

La Guinée pourrait ainsi transformer sur place sa bauxite en aluminium, le Sénégal alimenter ses centrales électriques et la Mauritanie développer ses gisements offshore en synergie avec le pipeline. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande en gaz de l’Afrique de l’Ouest pourrait croître de 80% d’ici 2040. Le gazoduc Afrique Atlantique répond directement à cette projection tout en ouvrant une voie d’exportation vers l’Europe, où le gaz africain pourrait concurrencer les flux russes et algériens.

Le déplacement d’une délégation marocaine à Houston, en marge du Forum États-Unis–Afrique sur l’énergie, illustre l’effort diplomatique de Rabat pour attirer les capitaux américains. Des représentants du sénateur Ted Cruz, de la DFC et de grands fonds d’infrastructures ont été séduits par le potentiel du projet. Le gazoduc Afrique Atlantique a été le seul projet africain présenté individuellement durant l’événement, signe de son importance stratégique.

Pour Washington, ce corridor représente une alternative sécurisée aux routes énergétiques dominées par la Russie, la Chine ou l’Algérie. Pour Rabat, il s’agit d’une opportunité de renforcer son alliance atlantique et de consolider sa position géostratégique dans un contexte mondial de recomposition des flux énergétiques. Les défis demeurent nombreux, notamment la mobilisation complète des financements, l’assurance de la sécurité du tracé traversant des zones fragiles et l’harmonisation des cadres réglementaires entre treize États souverains.

Cependant, le Maroc avance méthodiquement. La décision finale d’investissement est attendue d’ici fin 2025. Elle sera suivie du lancement du tronçon marocain, symbole fort du passage à la phase opérationnelle.

Dakhla, épicentre du Maroc atlantique

Dakhla, adossée à son futur port en eaux profondes, deviendra un centre logistique régional pour le gaz, le gaz naturel liquéfié et, à terme, pour l’hydrogène vert. Les zones industrielles de Laâyoune et Dakhla, soutenues par des investissements massifs dans les énergies renouvelables, se préparent à accueillir les premières industries énergivores, telles que la métallurgie, la production de fertilisants et la valorisation minière.

L’infrastructure gazière marocaine pourrait ajouter plus d’un point de PIB et créer quelque 200.000 emplois directs et indirects. Les provinces du Sud deviendraient ainsi l’épicentre du Maroc atlantique, connectant l’Afrique de l’Ouest à l’Europe par une chaîne énergétique fluide et compétitive.

Aujourd’hui le gaz, demain l’hydrogène vert

L’un des aspects les plus prometteurs du projet reste sa capacité d’adaptation technologique. Le tracé et les infrastructures du pipeline ont été conçus pour pouvoir transporter ultérieurement de l’hydrogène vert, une énergie que le Maroc entend produire à grande échelle d’ici 2035.

Le gazoduc pourrait ainsi devenir un corridor multi-énergies reliant les parcs solaires et éoliens marocains aux centres de consommation africains et européens. Le Royaume, déjà pionnier dans les énergies renouvelables, avec plus de 40% de sa capacité électrique issue du solaire et de l’éolien, entend faire de ce pipeline le socle d’une nouvelle économie décarbonée.

Ilyas Bellarbi / Les Inspirations ÉCO

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