l’urgence de renouer le pacte national
Depuis le 27 septembre 2025, le Maroc a été le théâtre d’un mouvement de protestation inédit, incarné par une jeunesse connectée, audacieuse, dépolitisée et résolument décidée à faire entendre sa voix. Rassemblés sous la bannière du collectif GenZ 212, des jeunes Marocains ont exprimé, avec force et créativité, leur profonde frustration face à un gouvernement indifférent à leurs besoins essentiels.
Si leurs revendications trouvent un écho sincère dans la société, la manière dont ces mobilisations ont été menées — en dehors de tout cadre légal — a provoqué une réaction répressive des autorités. Il en résulte une situation ambivalente : d’un côté, des exigences légitimes qui appellent l’écoute, de l’autre, une forme de contestation illégale, d’autant plus préoccupante qu’elle s’est développée sans encadrement clair, ni structure identifiable, ouvrant la voie à des tentatives de récupération politique.
Une contestation fondée sur des doléances réelles
Contrairement à ce que certains pourraient penser, les jeunes mobilisés n’ont ni exigé l’impossible, ni tenu des discours idéologiques. Ce qu’ils ont réclamé, c’est simplement ce que tout citoyen est en droit d’attendre : un système de santé digne, une éducation accessible et de qualité, un minimum de justice sociale. Leur indignation s’est nourrie de faits concrets et récurrents.
La dégradation visible du système de santé, illustrée par des drames évitables dans certains hôpitaux, a servi de déclencheur. À cela s’est ajoutée une frustration croissante face aux priorités budgétaires de l’État, accusé de concentrer ses ressources sur de grands événements internationaux, comme la Coupe du Monde 2030, au détriment des services de première nécessité. Enfin, un sentiment d’abandon générationnel s’est installé, nourri par le chômage, la précarité, et l’absence de perspectives claires pour l’avenir.
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Ces revendications n’ont rien de subversif. Elles relèvent d’un besoin urgent d’équité, de reconnaissance et d’écoute. Il ne s’agit pas de remettre en question le projet national, mais au contraire d’y être enfin pleinement inclus.
Une mobilisation spontanée, mais vulnérable
Le véritable nœud du problème ne réside pas dans les revendications elles-mêmes, mais dans la manière dont elles ont été exprimées. En l’absence de déclaration officielle ou de cadre légal, les rassemblements ont été considérés comme illégaux par les autorités. Or, dans un État de droit, toute manifestation publique est encadrée par des règles précises destinées à garantir la sécurité de tous.
Le collectif GenZ 212, structuré en dehors de toute organisation officielle, s’est développé sur les réseaux sociaux — TikTok, Discord, Telegram — sans figures visibles, sans porte-paroles, sans encadrement. Ce caractère décentralisé, voire anonyme, a certes permis au mouvement de se répandre rapidement, mais il en a aussi fait une force facilement exposée à la confusion, à la désorganisation, voire à la manipulation.
Car si ces jeunes sont éveillés, conscients, et ne demandent que leurs droits fondamentaux, leur isolement face au vide institutionnel les rend particulièrement vulnérables. Sans mentors, sans guides expérimentés, sans voix reconnue pour structurer leur discours, ils deviennent la cible idéale pour les tentatives de récupération.
C’est ce qui s’est produit : certains acteurs politiques en perte de vitesse, avides de visibilité ou d’influence, ont tenté de s’approprier le mouvement à des fins électoralistes ou symboliques. Mais cette récupération n’est que le symptôme d’un problème plus profond : l’abandon du terrain politique par ceux-là mêmes qui auraient dû l’occuper. Car les véritables responsables de ce vide sont les partis politiques et le gouvernement, qui ont déserté les espaces de dialogue avec la jeunesse. Par leur silence et leur absence sur le terrain, ils ont contribué à nourrir ce désenchantement.
Une répression motivée par la peur du débordement
La réaction des autorités, souvent jugée excessive, ne s’explique pas uniquement par un rejet des revendications, mais aussi — et peut-être surtout — par une crainte ancienne, enracinée dans l’histoire récente du monde arabe : celle d’un mouvement incontrôlable, qui échappe à toute médiation et menace l’ordre établi.
Cette crainte s’est renforcée par plusieurs éléments : la simultanéité des manifestations dans différentes villes, la nature fluide et hors-cadre du mouvement, l’absence de revendications formalisées ou de demandes de dialogue institutionnalisé, l’anonymat de ses initiateurs, et enfin la récupération opportuniste de certains politiciens.
Face à cette configuration, le réflexe sécuritaire a été d’agir vite, de contenir, d’étouffer, dans une logique de prévention du chaos.
Comment sortir de l’impasse ?
Il est aujourd’hui clair que la répression seule ne saurait constituer une réponse durable. Si l’on reconnaît que ces jeunes portent des revendications justes, et que leur mobilisation révèle une vitalité démocratique, alors il faut leur offrir autre chose que le silence ou la force.
L’État doit ouvrir des espaces de dialogue sincères, innovants, adaptés à cette génération, en dehors des cadres politiques classiques. Et les jeunes, de leur côté, doivent être encouragés à structurer leur parole, à s’organiser légalement, à se former pour faire valoir leurs droits avec responsabilité.
Mais ce travail ne peut être laissé à la seule jeunesse. Il revient aux partis politiques, aux institutions, aux figures d’autorité de réinvestir le champ du dialogue avec honnêteté et respect. La jeunesse ne rejette pas l’État ; elle attend qu’il lui parle, qu’il la considère, qu’il l’écoute.
Sur le moment choisi : entre maladresse et instrumentalisation
Un point sensible mérite d’être souligné. Le moment choisi pour ces mobilisations ne pouvait tomber plus mal. Le Maroc est à la veille de deux échéances majeures : une session stratégique du Conseil de sécurité des Nations unies, où la question du Sahara risque d’être remise sur la table, et l’accueil de la Coupe d’Afrique des Nations 2025, événement continental crucial pour l’image du pays.
Dans ce contexte, il est légitime de se demander si ces mobilisations, aussi justifiées soient-elles, ne tombent pas au pire moment. Vouloir défendre des droits sociaux est une chose ; fragiliser la position diplomatique du pays ou nuire à son image internationale en est une autre.
Plus inquiétant encore, certains individus notoirement hostiles au Maroc ont profité de la situation pour multiplier les déclarations dans la presse étrangère. Cette convergence entre une contestation sincère et des attaques médiatiques malveillantes soulève une question dérangeante : s’agissait-il uniquement d’une mobilisation spontanée ou y avait-il, en parallèle, des visées préméditées de déstabilisation ?
Pour que le lien ne se rompe pas
Il est profondément regrettable d’assister à des affrontements entre la jeunesse et les forces de l’ordre. Ce climat d’opposition ne doit pas devenir la norme. Il est nécessaire de rappeler que l’appareil sécuritaire existe, avant tout, pour protéger les citoyens, garantir la stabilité du pays, et préserver la paix. Ces jeunes, quant à eux, ne sont pas des fauteurs de troubles. Ils sont l’avenir du Maroc, sa force vive, son espoir.
Mais sans repères, sans encadrement, sans relais politiques sincères, ils peuvent se perdre… ou être perdus par ceux qui cherchent à les utiliser. C’est pourquoi la responsabilité première incombe au gouvernement et aux partis politiques. À force d’ignorer les signaux faibles, ils ont contribué à l’explosion du mécontentement.
Et si certains jeunes se sont laissés entraîner dans un timing malheureux, d’autres, à l’étranger, ont exploité cette fragilité pour porter atteinte au Maroc. Entre maladresse et mauvaise foi, les risques de confusion sont immenses. Mais plus que tout, ce qu’il faut éviter à tout prix, c’est la rupture de confiance entre l’État et ces jeunes.
Car lorsqu’une jeunesse ne croit plus en son pays, en ses institutions, ni en son avenir, c’est le tissu même de la nation qui se déchire. Et un pays qui ne sait pas tendre la main à ses enfants finit par se priver de son propre futur. Nous avons tout à gagner à reconnaître cela, à rétablir le lien, à bâtir un espace commun où chacun — État, jeunesse, société civile — avance, non pas l’un contre l’autre, mais côte à côte.
Le Maroc de demain se construira avec tous ses enfants. Et il ne s’élèvera que si chacun y croit encore.