Le rendez-vous de la dernière chance pour un chef de gouvernement qui a trop tardé
Le jeudi 17 juillet 2025, le chef de gouvernement réunira enfin la Commission nationale des retraites. Trois années après le début du mandat d’Aziz Akhannouch, et à moins d’un an des prochaines élections législatives, cette première rencontre formelle sonne comme un sursaut autant qu’un aveu : celui d’un pouvoir conscient d’avoir trop attendu.
Car s’il y a bien un dossier devenu symbole de l’immobilisme de l’État, c’est celui de la réforme des retraites. Depuis plus d’une décennie, les rapports s’accumulent, les projections virent au rouge, les caisses se fragilisent, et pourtant… rien ou presque. Ce n’est que maintenant, alors que l’érosion des équilibres atteint un point critique, que le gouvernement semble décidé à remettre l’ouvrage sur le métier.
Ce retard a un coût. Économique d’abord. Les besoins de financement des principaux régimes s’emballent. En 2025, plus de 18 milliards de dirhams devront être déboursés pour combler les déficits de fonctionnement. D’ici 2035, ce chiffre pourrait dépasser les 40 milliards si rien n’est fait. Le ratio cotisants/retraité, aujourd’hui déjà faible (1,7), pourrait chuter à 1,2 d’ici 2050. Cela signifie, concrètement, que pour chaque retraité, il n’y aura qu’un peu plus d’un actif pour financer sa pension. Un scénario insoutenable.
Mais au-delà des chiffres, c’est un enjeu de confiance politique qui se joue. La réforme des retraites est devenue, au fil du temps, un thermomètre de la capacité de l’État à affronter les grandes transitions. Chaque recul, chaque renvoi à plus tard, a creusé le fossé entre les engagements proclamés et les actes réels.
Le paradoxe est cruel. Aziz Akhannouch, en 2021, avait promis une « réforme courageuse et équilibrée » du système de retraite. Il disposait d’une majorité confortable, d’un appui du patronat, et d’un contexte post-pandémie où le besoin de refonte des filets sociaux faisait consensus. Mais l’occasion a été manquée. Entre prudence électorale, réticence à heurter les centrales syndicales et incertitudes techniques, le dossier a glissé en bas de la pile des priorités.
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Aujourd’hui, le contexte a changé. Les syndicats sont inquiets, certes, mais la réalité les rattrape. Les caisses privées ne peuvent plus garantir la viabilité des pensions au-delà d’une décennie. La Caisse marocaine des retraites est déficitaire structurellement. La promesse d’un régime unifié, plus juste et plus durable, reste lointaine. Et pour la première fois, même les retraites futures des classes moyennes ne sont plus assurées de maintenir leur niveau de vie.
Le chef de gouvernement peut-il encore tenir ses promesses ? Peut-il construire un compromis sans provoquer un rejet massif ? La tâche est rude, mais pas impossible. Une réforme paramétrique, qui agirait sur l’âge légal de départ, la durée de cotisation, et l’élargissement de l’assiette, permettrait de remettre à flot les équilibres sans pour autant sacrifier les droits acquis. Mais elle suppose un courage politique qui, jusqu’ici, a manqué.
Il faudra négocier pied à pied. Les syndicats rejettent en bloc un passage à 65 ans, sauf pour les carrières longues. Ils exigent la hausse du plafond des pensions dans le privé, la protection du pouvoir d’achat des retraités actuels, et une équité réelle entre secteurs public et privé. Le patronat, de son côté, redoute une augmentation des cotisations patronales. Le gouvernement, lui, devra arbitrer sans perdre de vue ni la soutenabilité budgétaire, ni la paix sociale, ni son image à l’approche des élections.
Le rendez-vous du 17 juillet ne débouchera pas sur une réforme immédiate. Mais il peut marquer le vrai début d’un processus trop longtemps différé. Il peut surtout être le moment où le gouvernement accepte de dire la vérité : que garantir les retraites de demain exigera des efforts dès aujourd’hui. Reporter encore serait irresponsable.
Akhannouch joue gros. Son crédit politique, sa promesse de réformer en profondeur, et sa capacité à gouverner autrement sont en jeu. Face à un système de retraite à bout de souffle, il ne s’agit plus de convaincre mais de décider. Le Maroc ne manque ni de diagnostics, ni de solutions. Il manque de volonté. C’est précisément ce que l’histoire retiendra ou non de ce rendez-vous : le jour où le pays aura choisi entre le sursaut ou la résignation.