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Un tournant stratégique pour la coopération Sud-Sud

Les 1er et 2 juillet 2025, Rabat a accueilli les premières Assises nationales de l’intelligence artificielle au Maroc, un événement qui marque un moment clé dans la trajectoire numérique du Royaume. Dans ce cadre, un panel placé sous le thème « Développer les synergies et la coopération Sud-Sud en matière d’IA » a mis en lumière les enjeux cruciaux pour l’avenir numérique des pays du Sud, et en particulier de l’Afrique.

En posant les bases d’une coopération Sud-Sud renforcée, le panel vise à mobiliser les pays du Sud autour de l’innovation, de l’éthique et d’une intelligence artificielle pensée pour répondre aux besoins locaux et globaux.

Chakib Benmoussa, Haut-Commissaire au plan, a souligné l’importance d’une approche holistique dans le développement des technologies d’intelligence artificielle (IA). « Nous ne voyons pas simplement l’utilisateur comme un bénéficiaire passif, mais aussi comme un acteur clé de son propre développement ». Il a rappelé que l’IA ne se limite pas à une simple utilité technique, mais représente une véritable transformation décisionnelle et organisationnelle.

Toutefois, il a insisté sur la nécessité de maîtriser les risques liés à cette transition, notamment en matière économique et sociale, en insistant sur la complexité des processus décisionnels actuels qui peuvent freiner l’innovation. Selon lui, une mobilisation coordonnée au niveau national et international est indispensable pour permettre une convergence des innovations, favoriser l’émergence d’une économie numérique éthique et représentative et réduire les inégalités.

L’un des enjeux majeurs abordés lors de ce panel est la coopération entre les pays du Sud pour relever collectivement les défis liés à l’IA. Chakib Benmoussa a mis en avant la compétition internationale intense qui oppose les grandes puissances technologiques (États-Unis, Chine, Russie), et appelé à une stratégie collective pour développer des solutions adaptées aux besoins des populations locales, notamment dans les secteurs de l’éducation, de la santé et de la gouvernance.

Il a insisté sur le fait que le développement d’une expertise locale passe par le renforcement de la formation, de la recherche, de l’échange d’expertises et de la mise en place de technologies et logiciels adaptés. Selon lui, il est primordial que les pays du Sud ne soient pas de simples consommateurs mais aussi des producteurs d’innovations, capables d’affirmer leur souveraineté numérique et d’influencer les normes internationales.

Le point de vue du Kenya : Gouvernance et engagement politique

Belio Kipsang, secrétaire principal au ministère de l’Éducation du Kenya, a partagé son expérience sur l’usage de l’IA dans les services publics. Il a expliqué que l’intelligence artificielle ne pourra apporter une réelle valeur ajoutée qu’à condition qu’il y ait un engagement fort des gouvernements, notamment en matière de collecte et d’exploitation des données. « L’IA ne peut prospérer dans un environnement fragmenté », a-t-il déclaré, plaidant pour des politiques publiques coordonnées afin de maximiser les bénéfices sociaux et économiques.

Seydina Moussa Ndiay, membre de l’organe consultatif de haut niveau de l’IA aux Nations unies, a mis en lumière la nécessité pour l’Afrique de développer ses propres capacités afin de protéger ses intérêts dans le domaine de l’intelligence artificielle. Il a rappelé que le continent a longtemps été marginalisé dans le développement des technologies, et que la coopération Sud-Sud, notamment universitaire, est une piste prometteuse.

Seydina Moussa Ndiay a également insisté sur le besoin de créer des écosystèmes africains capables de formuler des stratégies efficaces et adaptées. Le Maroc, par sa dynamique économique et ses infrastructures, apparaît comme un leader potentiel dans cette coopération régionale.

Vers une approche systémique : L’exemple des biosystèmes

Karim El Aynaoui, vice-président exécutif de l’Université Mohammed VI Polytechnique et président du Policy Center for the New South, a proposé une vision plus systémique en soulignant la complexité des écosystèmes technologiques. Il a fait le parallèle avec les biosystèmes, où des relations infinies coexistent, et suggéré que l’IA doit être envisagée de manière globale, en tenant compte des interactions complexes entre technologies, société et environnement.

Il a insisté sur la nécessité d’une approche sécuritaire et responsable dans le développement de l’IA, afin d’en maximiser les bénéfices tout en minimisant les risques.

Ce panel témoigne de la volonté du Maroc de se positionner comme un acteur clé dans le développement de l’intelligence artificielle, tout en promouvant une coopération renforcée entre les pays du Sud. Il a permis de souligner que le véritable défi ne réside pas uniquement dans la maîtrise technologique, mais aussi dans la capacité à construire des alliances stratégiques, à développer des talents locaux et à élaborer des cadres éthiques et réglementaires adaptés.

Le développement de synergies Sud-Sud apparaît ainsi comme une condition indispensable pour que l’intelligence artificielle serve réellement les objectifs de développement durable, l’inclusion sociale et la souveraineté numérique des pays en développement. Le Maroc, par son positionnement géopolitique et ses initiatives en matière d’innovation, ouvre la voie à un modèle collaboratif fondé sur le partage d’expertises, la recherche conjointe et la co-construction de solutions adaptées aux défis communs.

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