Abdou Dassouli : “Pourquoi ne pas créer une «Insurance Innovation Factory» nationale visant à stimuler l’innovation et l’excellence marocaine ?”
Abdou Dassouli
Expert IT & Assurance – Prix Agba de l’innovation 2025
Abdou Dassouli, expert IT et assurance, récompensé par le Prix Agba de l’Innovation 2025, plaide pour une transformation profonde du secteur au Maroc. Selon lui, les risques climatiques peuvent devenir une opportunité grâce aux produits paramétriques, à l’intelligence artificielle et à une meilleure gestion des données. Il propose la création d’une «Insurance Innovation Factory» nationale pour stimuler l’innovation, soutenir les InsurTech marocaines et accélérer la transformation digitale, tout en garantissant inclusion et protection pour tous les assurés.
Le Maroc est fortement exposé aux risques climatiques. Comment les compagnies d’assurance peuvent-elles en faire une opportunité ?
Vous savez, le climat, ce n’est plus une menace lointaine. C’est un fait. Et cette triste réalité doit pousser nos entreprises marocaines d’assurance à se réinventer et à se disrupter au vrai sens du mot. La vulnérabilité du Maroc peut devenir un moteur d’innovation si on apprend à la lire autrement. Par exemple, en croisant les données météorologiques, agricoles et assurantielles, on peut anticiper les sinistres, ajuster les primes, protéger mieux et plus vite. L’idée, c’est de faire du risque une source d’intelligence collective.
Vous avez des exemples concrets de cette transformation ?
Oui, et ils sont parlants. Regardez la MAMDA : elle a introduit des produits d’assurances climatiques (sécheresse, excès d’eau, grêle, gel, vent violent / vent de sable) pour les céréales (blé tendre, blé dur, orge, maïs), les légumineuses (fèves, lentilles, pois chiches, haricots…) et les oléagineuses (tournesol, colza). L’arboriculture est elle aussi gérée par un produit d’assurance spécifique.
Le mode d’indemnisation est quasiment unique au monde, il intervient lorsque le rendement agricole observé dans une commune est inférieur à un seuil de référence fixé pour cette zone. L’indemnisation se déclenche automatiquement lorsque le ministère déclare la province sinistrée avec au préalable une expertise diligentée par la Mamda et appuyée par de l’imagerie satellitaire. C’est rapide, transparent, et, surtout, ça redonne confiance. Autre point important : le pays a instauré le Fonds de solidarité contre les événements catastrophiques (FSEC) pour indemniser les victimes non assurées ou insuffisamment couvertes en cas de catastrophe naturelle. Une taxe de solidarité parafiscale sur les contrats d’assurance a été élevée à 1,5% pour alimenter ce fonds.
Les compagnies d’assurance privées couvrent les catastrophes naturelles dans le cadre d’un régime d’assurance entré en vigueur en 2020 via la loi n°110‑14. Ces initiatives montrent que nos institutions publiques et privées savent conjuguer expertise locale et innovation mondiale.
Justement, les produits paramétriques semblent avoir le vent en poupe…
Exactement. Ce sont des outils formidables. Pour ceux qui ne connaissent pas ces produits : l’assurance agricole indicielle, ou paramétrique, indemnise les agriculteurs non pas selon leurs pertes réelles, mais en fonction d’un indice objectif et mesurable — pluviométrie, vent, température ou sécheresse. Quand ce seuil est franchi, l’indemnisation est automatique.
Cela permet une indemnisation rapide et transparente, sans expertise sur le terrain. On gagne du temps, on réduit les litiges, et les assurés sentent que la promesse est tenue. C’est simple, rapide et équitable. Pour un pays comme le nôtre, où les aléas climatiques sont fréquents, c’est une vraie révolution silencieuse. Maintenant il temps que le Maroc lance la mise en œuvre effective de ces produits.
Quel rôle joue l’intelligence artificielle dans cette mutation ?
Un rôle clé. L’IA apprend, croise, prédit. Elle permet d’analyser des masses de données que l’humain seul ne peut traiter y compris via des analyses actuarielles poussées. Grâce à elle, on peut savoir où les inondations risquent de frapper, estimer la gravité d’une sécheresse, ajuster les couvertures à temps. On ne parle plus seulement d’assurance, mais d’anticipation. Et c’est là toute la différence : agir avant plutôt que réparer après.
Quels sont, selon vous, les grands défis de la transition énergétique pour les assureurs ?
Le premier, c’est d’accompagner et inclure sans exclure. J’insiste beaucoup dans tous mes interviews sur l’importance de l’inclusion des plus démunis. On parle beaucoup de technologies vertes, mais tout le monde ne peut pas se les offrir. Les assureurs ont un rôle d’équilibre à jouer : encourager les entreprises à s’engager dans la transition tout en gardant les particuliers à bord. Des produits adaptés, des primes plus justes, et, surtout, une pédagogie claire. La transition énergétique ne doit pas être un privilège, mais un projet collectif.
Et les InsurTech dans tout ça ? Quelle est leur place au Maroc ?
Elles apportent un souffle neuf. Leur force, c’est la rapidité et la simplicité. Grâce à elles, un client peut déclarer un sinistre, souscrire un contrat ou suivre une indemnisation depuis son téléphone. Et derrière, il y a toute une logique de données, de blockchain, d’automatisation. Les InsurTech marocaines peuvent devenir un maillon essentiel de notre souveraineté numérique. Si les assureurs traditionnels savent s’allier à elles, le secteur tout entier gagnera en agilité. Pourquoi les compagnies d’assurances ne créeraient pas un fonds de soutien aux Insurtechs marocaines sachant qu’elles contribuent déjà beaucoup dans l’économie marocaine traditionnelle.
Pour conclure, quelles leçons tirer des crises passées ?
Les crises nous apprennent toujours la même chose : la donnée sauve du temps, et le temps sauve des vies. Après le séisme d’Al Haouz ou les vagues de sécheresse, on comprend qu’il faut des systèmes plus rapides, plus connectés et plus solidaires.
L’assurance de demain, c’est une alliance entre la technologie, l’humain et la confiance. Si on garde cet équilibre, le Maroc a tout pour devenir un modèle régional. Il dispose aujourd’hui de tous les atouts : stabilité, talents, cadre réglementaire évolutif et infrastructures digitales solides mais le temps n’est plus aux promesses. Il est plutôt à l’action et aux projets lancés et menés jusqu’à leur terme.
Et pour conclure pourquoi ne pas créer une «Insurance Innovation Factory» nationale visant à stimuler l’innovation et l’excellence marocaine au sein du secteur de l’assurance, à favoriser l’inclusion assurantielle, le développement d’Insurtechs (technologies d’assurance), et à accélérer la transformation digitale.
Biographie
Abdou Dassouli est expert en technologies de l’information et consultant en transformation numérique du secteur des assurances. Fort de plus de quarante ans d’expérience, il accompagne les compagnies françaises et marocaines dans leur mutation vers des modèles plus connectés, durables et résilients. Passionné d’innovation, il intervient régulièrement dans des séminaires sur l’intelligence artificielle, la data assurance et la gestion des risques climatiques.
Abdelhafid Marzak / Les Inspirations ÉCO


