Economie

Un consensus fort autour de la révolution des talents au Maroc

Le Maroc se trouve à un point d’inflexion stratégique, confronté à la double nécessité de consolider ses acquis industriels et de préparer son capital humain aux ruptures technologiques et économiques qui redéfinissent la compétitivité mondiale. Lors de la 41ᵉ édition du Carrefour du Manager, organisée le 25 novembre au campus de l’ISCAE, un panel d’experts a rappelé que l’avenir du Maroc dépendra de sa diversification industrielle, de l’agilité de son système éducatif et d’une refonte de la formation tout au long de la vie.

Un large consensus s’est dégagé parmi les intervenants sur le succès de la stratégie d’industrialisation du Maroc. Ali Moutaib, président du groupe HALMO, souligne que le pays a su éviter l’écueil de la mono-industrie. Contrairement à des nations comme l’Indonésie qui, dans les années 70, ont misé sur l’automobile sans parvenir à diversifier leur tissu productif, le Maroc a utilisé ce secteur comme un véritable tremplin. « Aujourd’hui, notre premier produit d’exportation est l’automobile », rappelle-t-il, précisant que ce succès a créé une dynamique vertueuse permettant de développer d’autres filières à haute valeur ajoutée comme l’aéronautique et les projets de « gigafactories ».

Cette diversification est d’autant plus cruciale que le paysage mondial est en pleine mutation. Entre les impératifs climatiques qui impactent durablement l’agriculture et la révolution de l’intelligence artificielle (IA) qui s’apparente à une transformation « presque civilisationnelle », le Maroc ne peut se permettre de rester statique. La création de valeur locale, incarnée par l’implantation d’acteurs majeurs comme Safran, marque un passage essentiel d’une position de sous-traitant à celle de créateur de valeur au sein des chaînes mondiales.

Fuite des talents : Un défi national mis en lumière au Carrefour du Manager

Si les infrastructures et les investissements sont le squelette de cette transformation, le capital humain en est le système nerveux. Tous les experts s’accordent sur ce point : la plus grande bataille se mènera sur le front des compétences. Wissal El Gharbaoui, experte de l’industrie touristique, met en lumière une réalité paradoxale : le talent marocain est si prisé à l’international (Espagne, France, Qatar) qu’il en résulte une fuite des compétences post-COVID. Cette situation crée une « responsabilité » nationale de former, mais aussi de retenir ces talents pour soutenir la dynamique économique locale.

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Face à cela, le modèle éducatif traditionnel est remis en question. Wissal El Gharbaoui interroge l’efficacité du « 100% présentiel » et vante les mérites des modèles d’apprentissage en ligne, qui, malgré les préjugés culturels dans un pays « très tactile », offrent une accessibilité sans précédent au savoir. Cette transition est indispensable pour s’inscrire dans une dynamique mondialisée.

Loubna Derkaoui, manager chez Attijariwafa Bank, va plus loin en préconisant une intervention dès l’école primaire. Selon elle, il est impératif d’apprendre aux enfants non plus à résoudre des problèmes, une tâche que l’IA accomplit de plus en plus, mais à « poser les bonnes questions ». L’accent doit être mis sur l’analyse, la prise de décision et, surtout, la capacité à « désapprendre rapidement et réapprendre encore ». Cette agilité intellectuelle est la compétence maîtresse de l’ère nouvelle, une compétence qui doit être cultivée dès le plus jeune âge et soutenue par un partenariat public-privé robuste.

Moderniser la formation continue : Un impératif incontournable

L’un des blocages majeurs identifiés est l’inefficacité du système de formation continue. Karim Cheikh, président du GIMAS, expose des chiffres édifiants : sur les 3,5 milliards de dirhams collectés annuellement via la taxe de formation professionnelle (TFP), seule une infime fraction est réellement consommée par les entreprises pour la formation continue de leurs salariés. « Aujourd’hui, sur les milliards qu’on collecte, on en consomme environ 200 millions« , déplore-t-il, ajoutant que seulement 1% des entreprises accèdent à ce dispositif.

La complexité administrative et la gestion centralisée par l’OFPPT sont pointées du doigt. Une réforme est en cours pour créer une structure dédiée, plus agile, et s’appuyant sur une plateforme digitale pour simplifier les procédures. Cette modernisation est vitale pour permettre la reconversion des travailleurs expérimentés, ces quadragénaires et quinquagénaires qui possèdent une expertise précieuse mais doivent pouvoir s’adapter aux nouvelles demandes du marché. Ce « droit à la participation tout au long de la vie » est essentiel pour ne laisser personne au bord du chemin de la croissance, ajoute Karim Cheikh.

En conclusion, le Maroc a posé des fondations industrielles solides, mais sa prospérité future dépendra de sa capacité à construire une architecture de compétences tout aussi robuste. Cela exige une révolution culturelle dans l’éducation, une agilisation radicale de la formation professionnelle et une vision stratégique où le développement du capital humain est placé au cœur du projet national. C’est à ce prix que le Royaume pourra non seulement rester compétitif, mais aussi s’affirmer comme un pôle de talent et d’innovation à l’échelle régionale et mondiale.

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