L’Économiste

COP30 : l’innovation méthodologique du Maroc en réponse à l’inertie climatique mondiale

Alors que le rapport 2025 de l’OCDE sonne l’alarme sur une action climatique mondiale en panne, le Maroc propose à la COP30 une approche méthodologique novatrice pour transformer les engagements en réalisations tangibles.

Alors que la COP30 s’ouvre sur fond d’urgence climatique croissante, le récent rapport de l’OCDE, «L’Observateur de l’action climatique 2025», dresse un constat sévère de l’inaction mondiale. Dans ce tableau morose, la présentation par le Maroc de sa Contribution déterminée au niveau national (CDN 3.0) émerge comme une tentative concrète de dépasser les blocages structurels pointés par l’organisation. Une analyse croisée du rapport OCDE et de la position marocaine révèle des enjeux capitaux pour l’économie et la gouvernance climatique.

Le diagnostic implacable de l’OCDE
Le rapport de l’OCDE, publié à la veille de la COP30, souligne plusieurs déficits critiques. Le premier est relatif aux ambitions. Les CDN actuelles (2030) des 52 pays suivis par l’IPAC sont «insuffisantes» pour respecter les objectifs de température de l’Accord de Paris (1,5°C/2°C). Pour s’aligner sur les objectifs 2050, les émissions en 2030 devraient être inférieures de 16% aux engagements actuels. L’écart pour atteindre une trajectoire 1,5°C en 2035 nécessite une réduction de 39 à 63% par rapport à 2023. A cela s’ajoute un déficit de mise en œuvre, un déficit de crédibilité juridique et de cohérence.

Pour ce qui est du déficit de mise en œuvre, le Cadre de mesure des actions et politiques climatiques (CMAPC) révèle que l’action climatique mondiale n’a progressé que de 1% en 2024, confirmant un ralentissement persistant depuis 2021, désormais attribué à des «obstacles structurels» et non plus aux crises récentes. En 2023, les émissions totales des pays OCDE/partenaires excédaient de 8% le niveau requis pour leur propre trajectoire CDN 2030.

Parlant du déficit de crédibilité juridique, seulement 17,7% des émissions mondiales sont couvertes par des objectifs de neutralité carbone juridiquement contraignants. La majorité des engagements (y compris ceux de grands émetteurs comme la Chine – 2060 – ou l’Inde – 2070) reposent sur des documents d’orientation non contraignants (stratégies long terme, CDN, déclarations).

L’OCDE souligne qu’«intégrer les objectifs dans des cadres juridiquement contraignants est essentiel pour garantir la redevabilité». Quid du déficit de cohérence et des risques de distorsions ? Les «disparités persistantes» entre pays en matière d’action climatique «risquent d’amplifier les préoccupations pour la compétitivité et les délocalisations d’émissions de carbone». Le rapport note aussi le manque de cohérence entre les CDN 2030 et les objectifs 2050.

L’innovation méthodologique marocaine : relier financement, coût-efficacité et action concrète
Face à ce tableau global, la ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, Leïla Benali, présente la CDN 3.0 du Maroc (pour la période 2026-2035) comme une réponse pragmatique visant à combler ces déficits, notamment celui de la mise en œuvre et du financement. Son approche repose sur deux innovations majeures : des indicateurs de coût d’atténuation sectoriels et un couplage flux financiers / projets d’adaptation territoriaux.

S’agissant des indicateurs de coût d’atténuation sectoriels, le Maroc introduit l’analyse du coût par tonne de CO2 évitée (en dollars), intégrant les rendements réels sur investissement par secteur. Cette méthode permet d’identifier les leviers d’atténuation les plus efficaces économiquement.

Comme le déclare la ministre Benali, «la méthode démontre que l’efficacité économique, la rentabilité financière et les bénéfices environnementaux et sociaux de l’action climatique ne sont ni exclusifs ni contradictoires». Implication pour les acteurs économiques (industries, énergie, transport) : cette transparence sur le coût réel de la décarbonation par secteur fournit aux entreprises un outil crucial pour prioriser leurs investissements bas-carbone et anticiper les régulations les plus impactantes.

Elle permet aussi à l’État de cibler les politiques de soutien (subventions, fiscalité) vers les secteurs où le rendement économique de la réduction carbone est le plus élevé. Pour ce qui est du couplage flux financiers / projets d’adaptation territoriaux, la CDN marocaine crée un lien direct entre les flux financiers (notamment ceux générés par les efforts d’atténuation dans les transitions énergétique, minière et industrielle) et des projets concrets d’adaptation locaux.

Implication pour les acteurs économiques (financeurs, collectivités, secteur privé) : cette approche vise à répondre au déficit criant de financement de l’adaptation et à la critique de la ministre sur les 100 milliards USD «ayant pris la forme de prêts non concessionnels, aggravant les crises de la dette». Elle offre un cadre pour orienter les financements climat (publics et privés) vers des projets territoriaux tangibles (eau, agriculture, résilience côtière), potentiellement plus attractifs pour les investisseurs grâce à leur dimension locale et mesurable. Les collectivités territoriales et les PME impliquées dans ces projets voient leur rôle renforcé.

Ambition et urgence : l’appel marocain à l’action concrète
Avec une ambition relevée à 53% de réduction des émissions GES d’ici 2035 (dont 22% inconditionnels), le Maroc place la barre plus haut. Mais au-delà du chiffre, Leïla Benali insiste sur l’opérationnalité et la confiance. «Pour que la COP Climat demeure pertinente, le Maroc identifie deux priorités essentielles : accroître le financement climatique et mettre en œuvre des CDN innovantes qui relient l’action climatique à des projets concrets et mesurables sur le terrain, sauvant des vies, éradiquant la pauvreté et la faim, protégeant les plus vulnérables et comblant les écarts de mise en œuvre».

La ministre souligne l’urgence absolue, rappelant que dans sa région, «le seuil de 1,5°C a déjà été dépassé depuis des années».

Un test pour la crédibilité et l’efficacité économique

Le rapport de l’OCDE sonne l’alarme sur l’inertie structurelle de l’action climatique et le fossé persistant entre paroles et actes. La réponse du Maroc, à travers sa CDN 3.0, propose une voie pragmatique centrée sur l’efficacité économique de l’atténuation et le couplage financement/action territoriale concrète.

Pour les acteurs économiques – entreprises des secteurs clés (énergie, industrie, transport), institutions financières, collectivités territoriales –, cette approche marocaine, si elle est adoptée plus largement, pourrait signifier une allocation plus rationnelle des investissements bas-carbone guidée par des indicateurs de coût-efficacité sectoriels ; de nouveaux débouchés et mécanismes de financement pour des projets d’adaptation locaux intégrés aux stratégies nationales ; une pression accrue pour la transparence et la mesure d’impact réel des actions climatiques, au-delà des simples engagements ; et la nécessité d’anticiper des régulations plus ciblées sur les secteurs où le coût de la décarbonation est le plus bas. Le défi, relevé par le Maroc au niveau méthodologique, reste son adoption et son efficacité réelle à grande échelle.

La COP30 et le cycle des CDN 3.0 seront le premier test de la capacité de cette innovation à redynamiser une action climatique mondiale en panne et à restaurer la confiance dans le multilatéralisme, comme le réclame avec force Leïla Benali. «Seules des actions tangibles et ambitieuses permettront de restaurer la confiance et de préserver la possibilité d’atteindre les objectifs climatiques».

La crédibilité des engagements, notamment via leur ancrage juridique comme le souligne l’OCDE, et leur traduction en flux financiers efficaces vers des projets concrets, seront déterminantes pour l’ensemble de l’économie mondiale.

Bilal Cherraj / Les Inspirations ÉCO

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