Comment le Maroc prépare sa révolution énergétique
Après avoir garanti l’accès universel à l’électricité, le Maroc se lance dans une réforme majeure de son secteur énergétique. Objectif : réduire les coûts, moderniser les infrastructures et accélérer le développement des énergies renouvelables. Une transformation qui combine efficacité, décentralisation et transition vers un mix électrique durable, pour répondre aux enjeux économiques et environnementaux du pays.
Au cours des vingt dernières années, le Maroc est passé d’un réseau électrique fragile, ponctué de coupures fréquentes qui pénalisaient le tissu économique, à un système stable. Le programme d’électrification rurale globale (PERG), qui a permis la connexion de près de 13 millions de personnes, ainsi que le développement accéléré du solaire et de l’éolien, ont positionné le pays comme une référence régionale en matière d’énergies renouvelables.
Cependant, ces avancées masquent les limites structurelles d’un modèle encore largement centralisé et dépendant des énergies fossiles. Le Conseil de la concurrence, dans son dernier avis publié en septembre 2025, souligne une santé financière fragile de l’Office National de l’Électricité et de l’Eau potable (ONEE), grevée par une dette importante. Cette dette résulte principalement d’investissements coûteux pour généraliser le service public, d’un transport et d’une distribution reposant sur des infrastructures parfois obsolètes et inefficaces, particulièrement en milieu rural où les pertes électriques et financières restent élevées, et d’engagements contractuels rigides avec des fournisseurs d’énergies fossiles peu compétitifs.
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Face à ce constat, le Conseil de la concurrence propose un recentrage majeur des missions de l’ONEE. L’Office doit se concentrer sur les fonctions stratégiques, telles que la planification, le transport et l’équilibre entre l’offre et la demande, en déléguant progressivement la production et la distribution à d’autres acteurs, notamment privés.
Une structure de défaisance serait mise en place pour gérer les dettes issues des contrats non compétitifs et des engagements sociaux. La distribution serait confiée aux Sociétés Régionales Multiservices (SRM), qui joueraient un rôle clé de gestion locale, assurant un suivi de proximité, une meilleure adaptation aux besoins spécifiques et une efficacité opérationnelle améliorée.
La production électrique, elle, serait largement assurée par des producteurs indépendants et par une dynamique d’autoproduction également encouragée par la loi n° 40-19. Cette loi facilite la production privée, notamment sur des installations photovoltaïques agricoles ou industrielles, déchargeant ainsi le réseau national tout en encourageant une culture d’énergie renouvelable locale.
Réduction progressive des coûts de production
Les recommandations du Conseil de la concurrence visent un objectif audacieux : ramener le coût moyen de production de l’électricité de 0,9 à 0,6 dirham par kWh d’ici vingt ans, principalement grâce au développement massif des énergies renouvelables et à une meilleure organisation du secteur. La prolongation de certains contrats avec Masen (Moroccan Agency for Sustainable Energy) contribuerait également à réduire ces coûts, selon l’avis publié par le Conseil de la concurrence en septembre 2025.
Sur un horizon plus large, la vision nationale, alignée sur les Orientations Royales, vise à faire de l’électricité un service public universel tout en renforçant la compétitivité économique, la souveraineté énergétique et la valorisation des ressources renouvelables. Cela s’inscrit dans une logique de transition énergétique vers un mix électrique décarboné, avec un objectif de 52% d’énergies renouvelables dans le mix dès 2026, soit 4 ans avant la date prévue initialement.
Une réforme soutenue par un cadre réglementaire favorable
Le cadre réglementaire évolue aussi pour soutenir cette transformation. Le Maroc finalise un ensemble de réformes pour encadrer l’autoproduction d’électricité, en facilitant l’accès au réseau pour les petits et moyens producteurs privés. Les installations photovoltaïques domestiques, notamment, bénéficient d’une procédure simplifiée avec possibilité de vente de surplus dans la limite de 20% de la production annuelle.
Cette décentralisation énergétique présente de nombreux avantages : optimisation des rendements, minimisation des pertes de réseau et réduction des besoins en nouvelles infrastructures coûteuses. Par ailleurs, l’essor de technologies numériques et de smartgrids soutient la gestion dynamique du réseau électrique, nécessaire pour intégrer la variabilité des renouvelables.
Dans le même temps, la transition vers un système énergétique vert, centré sur la production décentralisée et renouvelable, permettrait au Maroc de réduire sa dépendance aux énergies fossiles, de valoriser ses ressources locales et de bâtir une économie plus résiliente face aux fluctuations mondiales des prix énergétiques.
Cette réforme profonde et ambitieuse aborde à la fois les enjeux de gouvernance, d’investissement, d’organisation et d’innovation technologique. La réussite de sa mise en œuvre pourrait transformer durablement le paysage énergétique marocain, en le rendant plus compétitif, plus durable et plus inclusif, pour le bénéfice de tous les citoyens.