Les symptômes d’une gouvernance sans reddition
Ce n’est ni une découverte ni une surprise. C’est un scénario désormais bien connu, presque banal, notamment des marchés publics attribués sans appel d’offres, des dépassements budgétaires non justifiés, un flou juridique, et surtout, l’absence totale de suivi ou de sanction. La commande publique marocaine si elle n’inquiète pas, révèle une faille dans l’architecture de la gouvernance économique.
Le plus récent exemple a été observé dans la région de Rabat-Salé-Kénitra, où un rapport de l’Inspection générale du ministère de l’Intérieur, cité par les médias, a mis en lumière de graves irrégularités dans la gestion de projets régionaux d’un montant global de 375 millions de dirhams.
Selon les mêmes sources, les projets visés ont été confiés à trois sociétés : Rabat Région Aménagement, Skhirat Témara Aménagement et Développement, et Redal. Ces entreprises, bien qu’opérant sous la tutelle de la région, ont reçu des marchés de manière directe, en dehors de tout appel d’offres, ce qui enfreint les dispositions claires du décret régissant les marchés publics, notamment son article premier, qui impose l’ouverture et la transparence dans la passation des marchés.
En outre, Rabat Région Aménagement, par exemple, a été chargée de la réalisation d’un programme de réutilisation des eaux usées traitées pour irriguer les espaces verts dans les préfectures de Rabat, Salé et Skhirat-Témara. Le montant alloué à ce projet s’élève à 215 millions de dirhams. Skhirat Témara Aménagement et Développement a, quant à elle, obtenu l’aménagement de la route dite « Falah », pour une enveloppe de 100 millions de dirhams. Enfin, Redal, l’entreprise chargée de la gestion de l’eau et de l’électricité, a été mandatée pour un projet similaire à Bouknadel, à hauteur de 60 millions de dirhams.
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De même, les élus concernés tentent de justifier cette pratique en avançant que ces entités appartiennent à la région et qu’elles peuvent être mandatées directement. Toutefois, cette interprétation souple des textes n’est pas nouvelle et a déjà été critiquée dans plusieurs rapports de la Cour des comptes, qui dénonce le contournement régulier des règles de concurrence sous couvert de “gestion directe”.
Par ailleurs, le rapport de l’Inspection générale du ministère de l’Intérieur ne s’arrête pas là. Il pointe également le non-respect des délais de paiement, l’absence de pénalités de retard, ainsi que des écarts de plus de 1,4 million de dirhams entre les prestations prévues et celles réellement effectuées. Autant de dysfonctionnements qui rappellent des pratiques déjà documentées et jamais corrigées.
Car ce n’est pas un cas isolé. C’est la répétition d’un modèle. Depuis des années, la Cour des comptes, via ses rapports annuels et régionaux, dénonce les mêmes manquements dans les mêmes types de projets, gérés par les mêmes niveaux de responsabilité. En 2019, en 2022, en 2023… Les constats sont toujours les mêmes : absence d’évaluation, conflits d’intérêts, absence de contrôle à la réception des projets, et souvent des dépenses sans justificatifs cohérents. À cela s’ajoute une opacité préoccupante dans la gestion des appels d’offres, souvent taillés sur mesure ou tout simplement contournés.