Economie

première source de devises, loin devant l’aide ou l’investissement

Malgré un contexte régional marqué par la volatilité des marchés internationaux, la contraction de l’aide publique au développement et les limites structurelles de l’investissement direct étranger, les envois de fonds de la diaspora apparaissent au Maroc comme une source de financement extérieur à la fois résiliente et stratégique. Si la migration a longtemps été perçue à travers le seul prisme social ou démographique, elle s’impose aujourd’hui comme un vecteur économique déterminant, au cœur de la stabilité macroéconomique du Royaume.

La récente note d’orientation publiée par le Bureau sous-régional pour l’Afrique du Nord de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) consacre une attention particulière à ce phénomène, en soulignant son ampleur croissante et son rôle central dans les équilibres financiers marocains.

Avec près de cinq millions de Marocains vivant à l’étranger, principalement en Europe (France, Espagne, Belgique, Italie, Pays-Bas), le Maroc dispose d’une des diasporas les plus anciennes et les plus structurées du continent africain. Ce lien profond et souvent affectif entre les ressortissants et leur pays d’origine s’est traduit, au fil des années, par des flux financiers réguliers qui ont progressivement pris une place prépondérante dans les équilibres macroéconomiques du Royaume.

En 2023, les transferts de fonds vers le Maroc ont atteint 11,8 milliards de dollars, en hausse de 5,2 % par rapport à l’année précédente. Ils représentent désormais 8,6 % du PIB, un niveau sans équivalent dans la région, plaçant le Maroc juste derrière l’Égypte en volume absolu, mais largement en tête en part relative du PIB. Pour 2025, Bank Al-Maghrib anticipe une progression continue de ces flux, avec un objectif de 12 milliards de dollars, confirmant la solidité et la constance de cette source de devises.

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Alors que les investissements directs étrangers peinent à redémarrer durablement, et que l’aide publique au développement reste contrainte par les agendas politiques et les conditionnalités des bailleurs, les envois de fonds de la diaspora se distinguent par leur régularité et leur résistance aux chocs exogènes. Crise sanitaire, tensions géopolitiques, dérèglements climatiques : les remises migratoires ont poursuivi leur trajectoire ascendante, consolidant leur place comme première source de financement extérieur du pays.

Cette manne joue un rôle clé dans la préservation de l’équilibre de la balance courante, le soutien à la consommation des ménages, et, plus largement, la stabilité de la monnaie nationale. Elle alimente aussi directement l’accès à la santé, à l’éducation ou encore à l’immobilier pour des milliers de familles marocaines.

Vers une mobilisation stratégique de la diaspora

Toutefois, la finalité de ces transferts reste encore largement confinée à des usages sociaux ou domestiques. L’enjeu, désormais, est d’orienter une partie de ces flux vers des projets à haute valeur ajoutée, capables de stimuler l’investissement productif et l’innovation. Car le potentiel est considérable : à l’échelle du continent, la diaspora africaine épargne chaque année 53 milliards de dollars, dont 60 % proviendraient des diasporas nord-africaines – et en premier lieu, marocaines.

La mobilisation de cette épargne nécessite toutefois des instruments adaptés. Si les initiatives d’obligations-diaspora ou de comptes d’épargne dédiés sont encore embryonnaires, elles s’inscrivent dans un mouvement plus large d’inclusion financière et de bancarisation transnationale. Au Maroc, Bank Al-Maghrib et plusieurs banques commerciales ont commencé à proposer des produits spécifiques pour les Marocains du monde, tandis que les outils numériques offrent désormais une traçabilité accrue et des coûts de transfert moindres.

Face à ce potentiel, le Maroc ne peut se contenter d’une approche passive. Il s’agit de bâtir une véritable stratégie nationale de mobilisation de la diaspora, adossée à des réformes fiscales, réglementaires et institutionnelles. La création d’un climat de confiance, la simplification des procédures administratives, la sécurisation des transferts et la valorisation des compétences des MRE (Marocains résidant à l’étranger) doivent constituer les piliers de cette politique.

La CEA, dans son programme « Renforcement du lien entre migration et développement en Afrique », mis en œuvre notamment en Tunisie, appelle les États à formaliser cette dynamique. Le Maroc, avec son expérience, ses relais consulaires et ses outils digitaux, dispose des leviers pour aller plus loin et inscrire durablement les transferts de fonds dans son projet de développement économique.

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