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Qui a réhabilité Benkirane ?

L’histoire politique récente du Maroc vient de s’enrichir d’un symbole fort : Abdelilah Benkirane a été reconduit à la tête du Parti de la justice et du développement (PJD) à l’issue de son neuvième congrès national, tenu ce dimanche 27 avril à Bouznika. Avec 69 % des suffrages exprimés, l’ancien chef de gouvernement a nettement devancé ses concurrents, obtenant 994 voix contre 394 pour Idriss El Azami Idrissi et seulement 42 pour Abdellah Bouanou. Benkirane signe ainsi son retour au premier plan, facilité pour une conjonction sociopolitique très favorable à l’opposition.

Très tôt enseveli politiquement, le retour en force d’Abdelilah Benkirane s’inscrit dans un contexte politique profondément marqué par la déliquescence de la majorité gouvernementale actuelle, dirigée par le Rassemblement national des indépendants (RNI) et son chef Aziz Akhannouch. Les difficultés de ce dernier à répondre aux aspirations socioéconomiques des Marocains, malgré des promesses électorales grandiloquentes en 2021, ont préparé le terrain pour une réhabilitation spectaculaire de l’ancien leader islamiste.

Propulsé au pouvoir sur un programme qui promettait « l’État social » et une « prospérité partagée », Aziz Akhannouch a rapidement déçu selon plusieurs Marocains. Trois années après son investiture, le chef du gouvernement est confronté à un profond désaveu populaire. L’incapacité de l’exécutif à enrayer la spirale inflationniste, à préserver le pouvoir d’achat, à atténuer les effets dévastateurs de la sécheresse sur le monde rural et à instaurer des réformes crédibles a creusé un fossé béant entre le gouvernement et les citoyens.

Le Plan Maroc Vert (PMV) avant de céder la place à « Green Generation », jadis présenté comme une vitrine du succès agricole national, s’est mué en facteur aggravant de la crise. Loin d’avoir permis une résilience face au changement climatique, ses limites structurelles — notamment une focalisation excessive sur les cultures d’exportation au détriment de la souveraineté alimentaire — ont accentué la vulnérabilité des petits agriculteurs. Aujourd’hui, ces derniers forment l’un des segments sociaux les plus frappés par l’exclusion économique.

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À cela s’ajoutent les multiples réformes avortées ou inabouties dans des secteurs clés tels que l’éducation, la santé publique et l’emploi. L’absence de réponses fortes et structurelles n’a fait qu’exacerber la défiance envers une majorité perçue comme technocratique, élitiste et déconnectée des réalités du Maroc profond. La vraie prise en charge des victimes du séisme d’Alhaouz et les vagues de piratages ont accéléré le désaveu du gouvernement d’Aziz Akhannouch.

Dans ce vide politique, Abdelilah Benkirane s’engouffre avec une habileté consommée. Celui qui fut chef du gouvernement entre 2011 et 2017, puis marginalisé à la suite de la débâcle électorale de 2021, fait aujourd’hui figure de recours pour une partie croissante de l’opinion publique. En repositionnant son discours sur un triptyque efficace — la défense des classes populaires, le retour aux valeurs fondamentales et la solidarité avec la cause palestinienne — Benkirane redonne au PJD une assise morale et politique que le RNI a dilapidée.

Conscient de la portée symbolique du contexte régional et de l’émotion populaire autour de la question palestinienne, Benkirane a ainsi souligné, dès son discours post-élection, avoir reçu des « félicitations spéciales » d’Abdel Salam Haniyeh, fils de l’ancien chef du Hamas, Ismail Haniyeh. Une mention lourde de sens dans un Maroc où la solidarité avec la Palestine demeure un marqueur transversalement mobilisateur.

2026 : la table pourrait être renversée

Les prochaines élections législatives, prévues en 2026, s’annoncent sous de tout autres auspices que celles de 2021. Alors qu’Akhannouch et sa coalition peinent à redresser la barre, l’ombre portée de Benkirane redevient celle d’un adversaire redoutable, susceptible de capitaliser sur la colère sociale, les frustrations économiques et la quête d’authenticité politique.

Par ses critiques acerbes et ses mises en garde anticipées contre l’incapacité du gouvernement à tenir ses engagements, Benkirane a su maintenir un lien vivant avec la base populaire. À mesure que les déceptions s’accumulent et que l’érosion de la crédibilité gouvernementale se poursuit, l’ancien chef de gouvernement se place plus que jamais pour incarner une alternative crédible.

La réélection de Benkirane dépasse ainsi largement les frontières internes du PJD. Elle consacre l’échec retentissant d’un pouvoir en place qui, en promettant monts et merveilles, n’a su offrir qu’improvisations et désillusions. L’horizon de 2026 offre ainsi plusieurs vues.

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