Economie

L’industrie de la carrosserie automobile atteint 65 % d’intégration locale

Premier producteur automobile du continent, le royaume s’est imposé en une décennie comme un pôle d’assemblage et de carrosserie majeur. Entre investissements étrangers, émergence d’acteurs locaux et ambitions électriques, ce secteur concentre les enjeux d’industrialisation et d’intégration internationale du pays.

L’essor de la carrosserie automobile au Maroc illustre mieux que tout autre domaine la mutation industrielle du royaume. En moins de quinze ans, un pays sans tradition manufacturière notable dans ce secteur est devenu le premier producteur de véhicules en Afrique, dépassant l’Afrique du Sud et rivalisant avec certains pays européens en termes de volumes. Cette montée en puissance repose sur une double dynamique : l’implantation massive de constructeurs étrangers, alliée à une stratégie publique volontariste visant à structurer des écosystèmes complets, de l’emboutissage des carrosseries à l’assemblage final.

La présence de Renault et de Stellantis a joué un rôle décisif. Le premier, avec son usine géante de Tanger inaugurée en 2012 et l’unité Somaca de Casablanca, a ouvert la voie à une industrialisation de masse, exportant aujourd’hui des centaines de milliers de véhicules vers l’Europe. Le second, installé à Kénitra depuis 2019, a consolidé cette trajectoire en lançant la production de la Peugeot 208, destinée quasi exclusivement aux marchés étrangers. Ces deux ancrages ont irrigué le territoire d’équipementiers internationaux : plus de 250 fournisseurs, de Valeo à Yazaki, sont désormais implantés au Maroc, intégrant l’ensemble de la chaîne de valeur, des pièces de carrosserie aux faisceaux électriques. Le secteur emploie près de 220 000 personnes et constitue la première filière exportatrice du pays.

Les chiffres traduisent l’ampleur de la transformation. En 2023, la production a dépassé les 700 000 véhicules, en hausse de 20 % par rapport à l’année précédente. Les exportations se sont élevées à 138 milliards de dirhams, soit plus de 14 milliards de dollars, représentant 27 % des ventes extérieures marocaines et supplantant les phosphates, longtemps en tête. Les projections officielles tablent sur un million d’unités dès 2025, avec une perspective d’atteindre 360 milliards de dirhams d’exportations en 2029. Ce dynamisme place le Maroc au 16ᵉ rang mondial des constructeurs, devant l’Italie en volume annuel, et renforce sa position de hub compétitif à l’échelle euro-méditerranéenne.

L’organisation spatiale de la filière reflète cette expansion. Le Nord, autour de Tanger et du port Tanger Med, concentre près de la moitié des équipementiers, tirant profit de la proximité logistique avec l’Europe. Casablanca demeure le centre historique, où l’usine Somaca et un dense réseau de sous-traitants continuent de jouer un rôle clé. Enfin, Kénitra, avec l’Atlantic Free Zone, incarne le nouveau pôle d’attractivité, nourri par les extensions successives de Stellantis. À travers ces trois foyers, le Maroc a constitué une géographie industrielle cohérente, articulée autour de corridors logistiques modernes et adossée à des zones franches performantes.

La stratégie publique a été déterminante pour soutenir ce développement. Le Plan d’accélération industrielle a favorisé la création d’écosystèmes spécialisés – câblage, emboutissage, sièges, moteurs – et mis en place des incitations ciblées : exonérations fiscales, subventions à l’investissement, zones industrielles dédiées. L’État a également investi dans la formation, avec la création d’instituts spécialisés (IFMIA) pour alimenter les usines en techniciens qualifiés. Le résultat est tangible : le taux d’intégration locale atteint aujourd’hui 60 à 65 %, contre moins de 30 % il y a une décennie, et les usines marocaines produisent désormais des modèles hybrides ou électriques, en plus des véhicules thermiques.

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Le Maroc entend capitaliser sur cette position pour s’imposer dans la transition énergétique. Plusieurs projets de gigafactories, portés par des industriels chinois tels que Gotion High-Tech ou CNGR Advanced Materials, représentent plus de 10 milliards d’euros d’investissements potentiels. L’objectif est de bâtir un écosystème complet de batteries, du raffinage de minerais au montage des cellules, afin de faire du royaume une base alternative à la Chine pour l’approvisionnement de l’Europe et des États-Unis. Cette orientation s’accompagne d’initiatives locales : Neo Motors, premier constructeur marocain, a lancé en 2023 un SUV partiellement conçu et assemblé au pays, tandis que NamX projette un modèle à hydrogène en partenariat avec Pininfarina. Ces initiatives, encore modestes en volume, traduisent néanmoins l’ambition de franchir une nouvelle étape vers l’innovation et la conception.

Les perspectives demeurent ambitieuses mais ne sont pas exemptes de défis. La montée en gamme technologique et l’intégration à l’économie de l’électromobilité supposent de renforcer la recherche et développement, domaine encore limité au Maroc. La concurrence des pays émergents – Turquie, Mexique, Vietnam – impose également de consolider les avantages compétitifs du royaume au-delà du seul coût de main-d’œuvre. Enfin, la dépendance aux constructeurs étrangers reste un point de fragilité, malgré l’émergence de projets nationaux.

À l’échelle continentale, le Maroc a pris une avance décisive. Ni l’Algérie, empêtrée dans des revirements réglementaires, ni l’Égypte, encore cantonnée à l’assemblage de petits volumes, ne rivalisent aujourd’hui en termes d’écosystèmes intégrés. Le royaume est le seul pays maghrébin à avoir bâti une filière complète, tournée vers l’export et adossée à une diplomatie économique active. L’expérience marocaine est désormais observée de près par d’autres pays africains, au moment où la Zone de libre-échange continentale africaine pourrait offrir de nouveaux débouchés au « made in Morocco ».

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