Les hôpitaux publics au bord de l’asphyxie
Face à une situation hospitalière jugée de plus en plus préoccupante, les voix de citoyens comme d’élus se font entendre pour réclamer un changement en profondeur. Entre manque de lits, pénurie de personnel et infrastructures vétustes, les hôpitaux publics peinent à répondre aux besoins des patients. Des protestations ont récemment éclaté, exprimant une colère face à cette situation.
Les premières semaines du mois septembre 2025 ont été marquées par une vague de protestations contre la situation hospitalière au Maroc. Le mouvement a atteint son apogée à Agadir, où l’hôpital régional Hassan II s’est imposé comme l’épicentre de la contestation. Le 14 septembre, à 15h30, des centaines de citoyens se sont rassemblés devant l’établissement pour dénoncer la dégradation des services de santé. Cette mobilisation a fait suite à une série de décès maternels. Le député Khalid Chnaq, du groupe istiqlalien de l’unité et de l’égalitarisme, avait adressé une question écrite au ministre de la Santé, Amine Tahraoui, sur l’état alarmant de l’hôpital. Selon lui, la gravité de la situation a atteint un niveau sans précédent avec l’enregistrement de six décès successifs de jeunes femmes dans le service de maternité en l’espace d’une seule semaine, à la suite de césariennes pratiquées dans des conditions suscitant de sérieuses interrogations sur le respect des normes de sécurité médicale.
En parallèle, les manifestants ont exigé l’ouverture du centre hospitalier universitaire d’Agadir, la création de maisons de maternité dans la région, le renforcement des effectifs médicaux et paramédicaux, l’équipement en matériel de réanimation et l’amélioration des conditions d’accueil. De plus, les slogans exprimés sur les réseaux sociaux et lors des manifestations ont également mis en avant la question de la gouvernance, avec des formules telles que « le peuple veut la fin de la corruption » ou « des hôpitaux, pas des terrains de foot ».
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Dans ce contexte, un médecin travaillant à l’hôpital Hassan II d’Agadir a publié une vidéo sur ses réseaux sociaux, où il a interpellé directement le chef du gouvernement M. Aziz Akhannouch et le ministre de la Santé. Selon lui, « les gens ont peur de venir à l’hôpital parce qu’ils craignent d’y mourir« . Il a déploré que de nombreux habitants évitent encore l’hôpital, notamment les urgences, en raison d’un problème d’approvisionnement en Propofol. Le médecin a critiqué également la gestion administrative et les retards dans l’ouverture du centre hospitalier universitaire d’Agadir, affirmant que tout est prêt, mais que les autorités multiplient les obstacles pour « s’attribuer le mérite de l’ouverture « .
De son côté, la députée Najwa Koukous, du Parti Authenticité et Modernité (PAM), a posé des questions écrites au ministre sur la dégradation de l’hôpital Abderrahim Harouchi de Casablanca, où le manque d’incubateurs artificiels a été lié au décès d’un nouveau-né. Elle a rappelé que la région de Casablanca-Settat compte plus de 7 millions d’habitants, dont 2 millions d’enfants, mais que l’hôpital n’emploie qu’un seul résident en chirurgie pédiatrique.
Récemment, des vidéos publiées par des citoyens circulent massivement sur les réseaux sociaux et illustrent la gravité de la situation dans les hôpitaux publics. Ces images révèlent des établissements dépourvus d’équipements essentiels et, dans certains cas, totalement absents de personnel médical. De plus, les témoignages visuels montrent que les patients n’ont pas accès aux soins de base, ce qui les prive de leur droit fondamental à la santé.
Les hôpitaux publics en détresse…
En effet, cette situation hospitalière s’inscrit dans un contexte national plus large. Selon une enquête Afrobarometer publiée le 11 septembre 2025, seuls 38% des citoyens à faibles revenus estiment pouvoir accéder facilement aux soins, contre 63% pour les plus aisés. S’ajoutent à cela les infrastructures hospitalières qui accentuent cette crise. Le Maroc dispose de 949 centres de santé opérationnels sur 1.400 programmés, avec un ratio de lits de 1 pour 1.307 habitants, selon la carte sanitaire du ministère de la Santé au titre de l’année 2024, loin des standards internationaux. Plus de 77% de ces lits sont concentrés dans cinq régions, laissant de vastes zones en déficit.
En outre, la corruption constitue un autre axe structurant de la crise. Selon les chiffres de l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC), elle entraîne une perte estimée à 7% des dépenses mondiales de santé, et 68% des responsables du secteur au Maroc reconnaissent son rôle dans la défaillance du système.
Parallèlement, la Cour des comptes soulignait dès 2022 que la majorité des organes de gouvernance prévus pour encadrer le secteur n’avaient jamais été instaurés. Quant aux investissements, ils reflètent une répartition déséquilibrée, notamment en 2010, où 60% ont été consacrés aux hôpitaux contre 5% aux soins primaires. En 2025, les projets de réhabilitation concernent 83 hôpitaux et prévoient 8.700 lits, mais seuls 1.729 seront disponibles cette année.
Cette situation est d’autant plus marquée qu’elle contraste avec les investissements dans les infrastructures sportives. Entre 50 et 60 milliards de dirhams sont prévus pour la modernisation des stades en vue de la Coupe du monde 2030, dont 5 milliards pour le Grand Stade Hassan II de Benslimane et 9,5 milliards pour les six stades existants. Ces infrastructures bénéficieront d’innovations technologiques de pointe, alors que 75% des hôpitaux ne respectent pas les normes de l’Organisation Mondiale de la Santé. En août 2025, des ouvriers affectés au chantier du CHU Ibn Sina de Rabat ont même été redirigés vers le stade Prince Moulay Abdellah pour accélérer sa rénovation, selon des informations rapportées par Morocco World News.