L’Économiste

Réseaux électriques : le talon d’Achille de la transition énergétique

Alors que le monde prend conscience du goulet d’étranglement que représentent les réseaux électriques pour la transition énergétique, le Maroc doit urgemment procéder à une introspection stratégique pour sécuriser son modèle et transformer cette menace en opportunité.

1.650 GW de projets solaires et éoliens sont bloqués dans le monde, en attente de connexion. Au Maroc, la croissance exponentielle du solaire pourrait masquer le même risque de déséquilibre, nécessitant des investissements ciblés et une diversification de la chaîne d’approvisionnement.
Le rapport 2025 de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) révèle un paradoxe mondial criant : la croissance exponentielle des énergies renouvelables (ENR) est freinée par des réseaux électriques en sous-investissement et des chaînes d’approvisionnement tendues. Si cette réalité menace la transition énergétique globale, elle impose au Maroc, acteur dynamique du solaire, une introspection stratégique urgente.

Un déséquilibre structurel
L’AIE révèle un déséquilibre structurel croissant entre le déploiement accéléré des énergies renouvelables (ENR) et les investissements dans les réseaux électriques. Alors que les investissements mondiaux dans les réseaux ont atteint 390 milliards USD en 2024 (+9% sur un an) et devraient dépasser 400 milliards en 2025, leur croissance ne suit pas le rythme des nouvelles capacités de génération.

Le ratio investissements réseau/génération, qui était de 0,60 en 2016, est tombé à moins de 0,40 aujourd’hui. Une inadéquation qui explique pourquoi 1.650 GW de projets solaires et éoliens étaient bloqués en attente de connexion en 2024, soit l’équivalent de six fois la capacité électrique de l’Allemagne.

Deux facteurs critiques exacerbent ce goulet d’étranglement : les délais d’approvisionnement des composants essentiels (câbles et transformateurs) ont quasiment doublé, atteignant désormais 2 à 3 ans pour les câbles et jusqu’à 4 ans pour les transformateurs de puissance, tandis que les coûts ont explosé avec une hausse de 100% pour les câbles et de 75% pour les transformateurs depuis 2018, sous la pression de la demande mondiale et du renchérissement des matières premières (cuivre, aluminium, acier électrique).

Ainsi, cette crise reflète une myopie industrielle où les fabricants peinent à anticiper la demande, aggravée par une pénurie de main-d’œuvre qualifiée, exigeant 1,5 million de professionnels supplémentaires d’ici 2030. La géopolitique accentue ces tensions, la Chine, la Corée du Sud et la Turquie dominant désormais 50% du marché des transformateurs et redistribuant les dépendances stratégiques globales.

Nuance sur les atouts et les vulnérabilités
Dans ce contexte, le Maroc présente un profil énergétique où les avancées solaires masquent des vulnérabilités systémiques. Le Royaume reproduit-il le risque mondial de déséquilibre réseau/génération ? Si les investissements solaires s’accélèrent, rien n’indique que les réseaux suivent, risquant de bloquer des projets comme les 1.650 GW évoqués par l’AIE. La priorité exige de cibler les réseaux de distribution – qui concentrent 67% des investissements mondiaux – et d’accélérer leur digitalisation via l’IA et des cadres réglementaires incitatifs pour optimiser l’existant.

Parallèlement, la dépendance aux panneaux chinois expose le pays aux tensions mondiales : délais allongés, hausse des coûts et concurrence africaine où l’Afrique du Sud absorbe 25% des importations continentales. La fabrication locale de panneaux (1 GW/an) offre une échappatoire. Ainsi, l’enjeu critique est désormais de monter en gamme pour intégrer des composants absents de la chaîne locale comme les câbles et onduleurs.

Sur le plan géopolitique, la Chine demeure un partenaire incontournable – comme en témoigne sa participation aux enchères brésiliennes et chiliennes – mais cette relation comporte des risques nécessitant une diversification des fournisseurs et un renforcement urgent de la coopération intra-africaine pour éviter une dépendance asymétrique. Enfin, face au déficit mondial de compétences où les huit millions d’emplois actuels devront croître de 1,5 million d’ici 2030, il y a lieu de veiller à ce que la transition marocaine ne bute sur une pénurie de talents critiques.

Une feuille de route pour le Maroc

Le rapport de l’AIE sonne comme un avertissement mondial, mais aussi comme un miroir pour le Maroc. Notre dynamisme solaire est indéniable, mais il masque des vulnérabilités structurelles. La solution, selon l’AIE ? Une approche intégrée : investir urgemment dans les réseaux en s’inspirant des plans décennaux (Inde, Brésil…) ; renforcer la fabrication locale pour sécuriser la chaîne d’approvisionnement ; et adapter la régulation pour favoriser la digitalisation et les compétences.

Si le Maroc a les moyens de sa transition, seule une vision systémique – où réseaux, industrie et formation avancent de concert – évitera le piège des ENR orphelines de connexion. La balle est dans le camp des décideurs.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO

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