Economie

Le crédit, dernier amortisseur social d’un pouvoir d’achat en déclin ?

Derrière une légère baisse de l’endettement moyen des ménages marocains, le dernier rapport sur la stabilité financière met en lumière une fracture silencieuse. Fonctionnaires, classes moyennes salariées et quinquagénaires supportent encore des charges de remboursement étouffantes, révélant les limites sociales du modèle actuel de crédit à la consommation.

Une ligne descendante, presque imperceptible, mais que les autorités présentent comme un signe d’amélioration : en 2024, l’endettement moyen des ménages marocains est passé à 34 % de leurs revenus, contre 35 % un an plus tôt. Cette inflexion modérée, extraite du rapport annuel sur la stabilité financière co-publié par Bank Al-Maghrib, l’ACAPS et l’AMMC, pourrait suggérer une légère respiration. Pourtant, derrière la façade rassurante des moyennes, le document décrit une réalité bien plus contrastée, où de larges pans de la population vivent dans l’étau de dettes chroniques, grevant leur pouvoir d’achat et obérant toute capacité d’épargne.

En 2024, les fonctionnaires représentent 28 % des emprunteurs, contre 24 % en 2023. Ce glissement n’est pas anodin. Il traduit un recentrage du système de distribution du crédit sur les agents de l’État, perçus comme solvables du fait de leur revenu stable. Sauf que cette solvabilité est de plus en plus théorique : selon les données analysées, 62 % du revenu moyen des fonctionnaires est absorbé par le remboursement de crédits, soit le niveau d’endettement le plus élevé parmi toutes les catégories professionnelles.

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Autrement dit, ce sont des foyers à revenu fixe qui assument les engagements financiers les plus lourds, et qui le font souvent sur plusieurs années, dans un contexte marqué par la stagnation des salaires réels, l’inflation et la hausse du coût de la vie urbaine. Ce surendettement structurel n’est pas seulement un problème bancaire ; il devient un fait social, qui fragilise la cohésion et le moral des classes moyennes salariées.

L’érosion du revenu disponible

Dans le détail, le rapport souligne que plus de 32 % des emprunteurs dépassent les 40 % de taux d’endettement, seuil au-delà duquel le remboursement mensuel commence à empiéter sérieusement sur les dépenses essentielles (alimentation, santé, logement). Parmi eux, 38 % se situent dans la tranche critique de 40 à 50 %, avec une surreprésentation des fonctionnaires et des salariés du secteur privé, qui forment à eux seuls 68 % de cette population vulnérable.

Cet indicateur témoigne d’un affaiblissement du revenu disponible, cette part du revenu qui reste une fois les engagements remboursés. Il est de plus en plus grignoté, réduisant à néant la capacité d’anticipation des ménages, qu’il s’agisse de financer des études, d’acquérir un logement ou de faire face à des imprévus. Dans bien des cas, la dette devient un mécanisme de survie, utilisée pour boucler des fins de mois ou couvrir des dépenses de santé non assurées.

Les quinquagénaires, angle mort du modèle bancaire

Autre fait saillant du rapport : les personnes âgées de 50 à 60 ans sont les plus exposées au déséquilibre financier, avec 39 % de leur revenu moyen consacré à la dette. Cette tranche d’âge est souvent prise en étau entre le financement des enfants encore étudiants, des prêts anciens qui n’ont pas été renégociés, et l’approche de la retraite avec des perspectives de baisse de revenu.

À l’inverse, les jeunes actifs (30–40 ans) sont de plus en plus prudents, souvent sous-bancarisés ou réticents à contracter des prêts, tandis que les plus de 60 ans se montrent, eux, globalement moins endettés — mais souvent aussi moins solvables et plus dépendants du soutien familial.

Les foyers aux revenus supérieurs à 10 000 dirhams par mois (environ 950 euros) concentrent 60 % du volume total des crédits octroyés, mais leur taux d’endettement reste raisonnable à 31 %. Ce paradoxe souligne une tendance bien connue : les plus aisés empruntent davantage, mais le font dans des conditions plus favorables, avec un accès facilité au crédit, des taux préférentiels, et une capacité de négociation supérieure.

En revanche, les ménages à faibles revenus restent souvent cantonnés aux produits les plus coûteux et les plus risqués, dans un marché de la consommation où les promotions masquent des conditions de remboursement rigides. Ils sont aussi plus vulnérables aux hausses de taux d’intérêt, à l’allongement de la durée des crédits et à l’exclusion des filets sociaux, notamment dans le secteur informel.

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