Economie

Le Maroc à l’avant-garde d’un nouveau modèle territorial

Face à l’urgence climatique et à la pression croissante sur ses ressources essentielles, le Maroc intensifie la territorialisation de sa transition énergétique et hydrique. Deux projets emblématiques — un centre de données à Dakhla entièrement alimenté en énergies renouvelables, et une vaste usine de dessalement à Casablanca — illustrent une stratégie tournée à la fois vers la souveraineté numérique et la résilience environnementale.

Le projet de centre de données de 500 mégawatts prévu à Dakhla s’inscrit dans la stratégie nationale de transformation numérique pour la période 2024-2026. Porté par la ministre déléguée auprès du chef du gouvernement chargée de la Transition numérique et de la Réforme de l’administration, Mme Amal El Fallah Seghrouchni, et annoncé publiquement le 9 juillet 2025, ce projet entend positionner le Maroc parmi les puissances régionales en matière de souveraineté technologique. Entièrement alimenté par des énergies renouvelables, il est destiné à renforcer la résilience numérique du pays, tout en capitalisant sur les atouts climatiques et énergétiques du Sud marocain.

Ce choix stratégique de localisation traduit une double ambition. D’une part, il s’agit de stimuler l’essor des infrastructures technologiques dans les régions du Sud, traditionnellement marginalisées, afin d’en faire des plateformes d’innovation au service du continent. D’autre part, cette initiative incarne la vision d’un numérique durable, s’appuyant sur les ressources solaires abondantes de Dakhla pour minimiser l’empreinte carbone des technologies de l’information.

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Selon les médias, l’investissement global de 11 milliards de dirhams alloué à la stratégie numérique 2024-2026 ne se limite pas à ce seul site. Il couvrira l’ensemble du maillage national de centres de données, dont la vocation est de garantir l’autonomie de traitement, de stockage et de sécurisation des données hébergées sur le territoire. Une orientation en phase avec les tendances internationales où la maîtrise de l’infrastructure digitale devient un facteur de puissance.

Casablanca : Sécuriser leau par le dessalement

En parallèle, le Maroc renforce sa stratégie de sécurité hydrique par le lancement d’une usine de dessalement à Casablanca, dont le chantier a été officiellement lancé le 9 juin 2025 par Son Altesse Royale le Prince Héritier Moulay El Hassan. Cette infrastructure critique vise à répondre à la pression croissante exercée sur les barrages du bassin de l’Oum Er-Rbia, en diversifiant les sources d’approvisionnement en eau potable pour la métropole économique.

D’un coût équivalent à 11 milliards de dirhams, ce projet sera déployé en deux phases selon les médias. La première, attendue pour fin 2026, permettra de traiter quotidiennement 548 000 m³ d’eau, soit environ 200 millions de m³ par an. La seconde, prévue pour mi-2028, portera cette capacité à 822 000 m³ par jour. La majeure partie de cette ressource — soit 300 millions de m³ annuellement — sera destinée à l’alimentation en eau potable, le reste étant affecté à l’agriculture.

Le prix moyen du mètre cube, estimé à moins de 4,50 dirhams sur une durée de 27 ans, témoigne d’un effort de modération tarifaire dans un contexte de tension hydrique généralisée. Le financement, assuré intégralement par le secteur privé, repose sur un montage associant fonds propres et emprunts. Le consortium chargé de la mise en œuvre comprend Acciona, Green of Africa (GOA) et Afriquia Gaz, illustrant une mobilisation conjointe d’acteurs internationaux et marocains autour d’un projet structurant.

Encadré

Financer la bascule verte : Un effort public-privé structurant

Le financement de la transition énergétique du Maroc repose sur une architecture hybride mobilisant à la fois les ressources de l’État, les institutions financières internationales et les capitaux privés. Selon les données du ministère de la Transition énergétique et du Développement durable, près de 52 % des investissements programmés d’ici 2030 — estimés à plus de 400 milliards de dirhams — proviendront du secteur privé, notamment dans le solaire, l’éolien, l’hydrogène vert et l’efficacité énergétique.

Des acteurs tels que la Moroccan Agency for Sustainable Energy (Masen), l’Office National de l’Électricité et de l’Eau Potable (ONEE) ou l’Agence Marocaine pour l’Efficacité Énergétique (AMEE) jouent un rôle de catalyseurs, en structurant des projets bancables et en assurant leur alignement avec les normes environnementales internationales. Des partenariats innovants sont également mis en place avec la Banque mondiale, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) ou encore l’Union européenne, à travers des mécanismes de prêts concessionnels, de garanties ou de financements mixtes (« blended finance »).

En parallèle, le Royaume a instauré des instruments incitatifs comme les contrats d’achat d’électricité (PPA) ou les appels d’offres compétitifs pour attirer les investisseurs dans les régions à fort potentiel. Ce modèle financier, fondé sur la transparence et la bancabilité des projets, constitue l’un des piliers de la stratégie marocaine pour atteindre 52 % d’énergies renouvelables dans son mix électrique d’ici 2030.

Vers un nouveau paradigme hydrique

La stratégie marocaine ne s’arrête pas à Casablanca. À l’horizon 2030, le Royaume ambitionne la mise en service de 13 nouvelles stations de dessalement, en complément des 17 déjà opérationnelles. L’objectif, selon le ministère de l’Eau et de l’Équipement, est d’atteindre une capacité globale de 1,7 milliard de mètres cubes par an, dont près d’un tiers sera réservé à l’irrigation agricole. Actuellement, la production cumulée avoisine les 320 millions de m³, contre seulement 40 millions en 2021, et devrait franchir le seuil des 532 millions grâce aux projets en cours à Dakhla, Casablanca, Jorf Lasfar et Safi.

Au total, neuf nouvelles stations et quatre extensions sont programmées, signalant un basculement vers un « mix hydrique » intégrant pleinement les ressources non conventionnelles. Lors d’un événement organisé par Médias24, le ministre de l’Equipement et de l’Eau, M. Nizar Baraka, a affirmé que cette transition traduit un changement fondamental de la politique de l’eau, délaissant progressivement la dépendance aux barrages et nappes pour intégrer de manière systématique le dessalement et la réutilisation.

Une transition territoriale plurielle

Ces deux projets – le centre de données solaire de Dakhla et l’usine de dessalement de Casablanca – ne doivent pas être considérés isolément, mais comme les briques d’un nouveau contrat écologique entre les territoires marocains et l’État. Ils illustrent une transformation profonde de la planification publique, orientée vers une souveraineté énergétique, hydrique et numérique pensée à l’échelle régionale.

Derrière les chiffres d’investissement et les ambitions techniques, c’est une logique de rééquilibrage territorial et de résilience systémique qui se déploie. Tandis que le Sud devient un pôle énergétique et numérique, le littoral atlantique s’impose comme un laboratoire de solutions hydriques avancées. En capitalisant sur ses ressources renouvelables et en anticipant les chocs climatiques à venir, le Maroc affirme ainsi sa volonté de bâtir une transition énergétique des territoires à la fois inclusive, durable et géostratégiquement assumée.

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