Maroc-Chine : un partenariat pour redessiner la carte industrielle et géopolitique
Alors que la Chine redéfinit ses alliances économiques, le Maroc s’affirme comme un partenaire stratégique de premier plan. Entre investissements industriels, transfert de technologies et rapprochement diplomatique, la relation sino-marocaine entre dans une nouvelle phase, comme en témoignent la récente escale du président Xi Jinping à Casablanca et l’inauguration, quelques mois plus tard, de l’usine COBCO à Jorf Lasfar.
En novembre 2024, le président chinois Xi Jinping a effectué une escale symbolique à Casablanca, à l’issue de sa tournée en Amérique latine, marquée par sa participation au Sommet de l’APEC au Pérou et au G20 au Brésil. Accueilli par le Prince héritier Moulay El Hassan, cette visite a été l’occasion pour Pékin et Rabat de réaffirmer leur proximité stratégique et d’afficher une solidarité sur plusieurs dossiers sensibles. Quelques mois plus tard, le 25 juin 2025, le site industriel COBCO, fruit d’un partenariat entre le fonds d’investissement marocain Al Mada et le géant chinois CNGR Advanced Materials, a été inauguré à Jorf Lasfar.
Ce projet, emblématique du rapprochement économique entre les deux pays, marque une étape décisive vers l’émergence d’une filière nationale pour batteries électriques. Le rapprochement entre Rabat et Pékin se déploie aujourd’hui à plusieurs niveaux, illustrant un partenariat à la fois industriel, technologique, infrastructurel et culturel.
Sur le plan industriel, la Chine multiplie les implantations structurantes au Maroc. Des entreprises chinoises sont désormais présentes de Casablanca à Tanger, en passant par Rabat et Agadir, dans des secteurs clés tels que l’automobile, l’électronique et l’industrie lourde. Le projet COBCO, avec ses 20 milliards de dirhams d’investissement, positionne le Maroc comme un acteur majeur de la production de composants pour batteries lithium-ion destinées à alimenter jusqu’à un million de véhicules électriques par an.
Cette unité pionnière permet au Royaume de valoriser localement des ressources stratégiques, comme le phosphate, le cobalt ou le manganèse, et d’intégrer une chaîne de valeur à haute technicité autrefois hors de portée. Sur le volet technologique, les partenariats signés avec Huawei et d’autres acteurs des TIC ouvrent la voie à une modernisation numérique, tant pour les infrastructures télécoms que pour la cybersécurité et les villes intelligentes.
Le projet Tanger Tech, zone industrielle et technologique parrainée par la Chine, héberge déjà plusieurs dizaines d’entreprises chinoises, renforçant le transfert de savoir-faire et de compétences vers les ingénieurs marocains. Sur le plan des infrastructures, la Chine joue également un rôle important dans le développement du réseau ferroviaire marocain. Des sociétés comme Shanhaiguan Bridge et Vossloh Cogifer fournissent des composants stratégiques pour l’expansion du réseau à grande vitesse, tandis que la China Railway Design Corporation pilote des études d’avant-projet pour la réalisation de nouvelles lignes.
Pourquoi le Maroc ?
Le Maroc tire parti de sa position géographique, à seulement quatorze kilomètres de l’Europe et au carrefour des routes maritimes reliant l’Atlantique à la Méditerranée et à l’Afrique subsaharienne. Ce positionnement fait du Royaume une plateforme de choix pour la délocalisation de certaines capacités de production chinoises. Pour de nombreux investisseurs chinois, produire au Maroc, c’est bénéficier d’accords de libre-échange avec plus de cinquante pays, tout en optimisant les coûts logistiques et douaniers pour approvisionner les marchés européens et africains.
L’usine COBCO illustre cette logique. La production de précurseurs nickel-manganèse-cobalt pour cathodes ne répond pas uniquement au marché local mais cible surtout les constructeurs automobiles européens et américains, en quête de sources d’approvisionnement fiables et décarbonées. Dès sa phase de construction, le chantier de Jorf Lasfar a mobilisé plus de 5.000 emplois directs dans le BTP, la logistique et les services techniques.
À pleine capacité, COBCO générera 1.800 emplois directs hautement qualifiés et 1.800 emplois indirects dans les filières industrielles connexes. Surtout, le projet mise sur le transfert de compétences. Des formations spécifiques, des coopérations universitaires et des programmes conjoints avec CNGR visent à créer un vivier national d’expertise dans la chimie des matériaux, jusqu’ici inexistante à grande échelle au Maroc.
Un modèle industriel bas carbone et durable
L’un des aspects les plus novateurs du site COBCO est sa conception durable. L’usine est alimentée à 80% par des énergies renouvelables dès 2025 et vise les 100% à l’horizon 2026. L’usage d’eau dessalée, associé à des systèmes de recyclage internes, réduit l’impact hydrique, tandis que les procédés de production sont pensés pour minimiser l’empreinte carbone et assurer une traçabilité exemplaire, répondant aux standards environnementaux exigés par les grands donneurs d’ordres internationaux.
Au-delà des usines et des infrastructures, le Maroc et la Chine multiplient les passerelles diplomatiques et humaines. Depuis 2016, les citoyens chinois bénéficient d’une exemption de visa pour séjourner jusqu’à 90 jours au Maroc, ce qui a permis de faire bondir le nombre de visiteurs chinois à près de 180.000 par an avant la pandémie.
Pour 2025, les prévisions indiquent que le Maroc pourrait accueillir environ 300.000 touristes chinois. La reprise des vols directs entre Casablanca et Pékin, ainsi que le lancement prochain de la ligne Shanghai–Casablanca par Shanghai Airlines, renforcent la connectivité et facilitent les échanges économiques, touristiques et académiques.
Par ailleurs, une diaspora marocaine diplômée de Chine, combinée à la présence d’Attijariwafa bank à Pékin et de Bank of Africa à Shanghai, constitue un relais stratégique pour fluidifier les affaires et lever les barrières culturelles. Cette coopération ne doit pas être vue comme une dépendance subie mais comme un partenariat structurant et assumé. Le Maroc privilégie un modèle industriel à forte valeur ajoutée.
Sur le plan diplomatique, la Chine reste, elle, prudente sur le dossier du Sahara marocain, soutenant une solution politique conforme aux résolutions de l’ONU tout en se rapprochant de la position marocaine à travers un dialogue constructif et discret.
Porté par une diplomatie pragmatique, un climat d’affaires stable et un positionnement stratégique, le Royaume transforme la coopération sino-marocaine en levier pour monter en gamme, capter des transferts technologiques et préparer son tissu économique aux défis de la transition énergétique. Cette dynamique pourrait bien faire du Maroc la principale porte d’entrée de la Chine en Afrique du Nord et de l’Ouest, tout en consolidant sa place comme plateforme industrielle crédible à l’échelle euro-africaine.
Ilyas Bellarbi / Les Inspirations ÉCO