le Conseil de la concurrence chiffre les marges nettes entre 43 et 61 centimes/litre
Le rapport publié ce jeudi 24 juillet par le Conseil de la concurrence met fin à des années d’opacité sur la rentabilité réelle des distributeurs de carburants au Maroc. Il révèle un redressement spectaculaire des marges nettes en 2024, confirmant le caractère hautement lucratif du secteur, malgré un environnement international encore volatil.
Le marché marocain des carburants (gasoil et essence), dominé par neuf principaux opérateurs, a généré un chiffre d’affaires cumulé de 77,9 milliards de dirhams en 2024, pour un résultat net global avoisinant 2,3 milliards de dirhams. Ces données, rendues publiques par le Conseil de la concurrence dans un rapport très attendu, révèlent un taux de marge nette moyen de 2,9 % sur l’ensemble du marché — soit 43 centimes de dirhams par litre de gasoil et 61 centimes pour l’essence.
Ce niveau, supérieur à la moyenne des trois dernières années (1 %), marque une rupture avec la période de forte instabilité traversée entre 2022 et 2023. Rappelons qu’en 2022, la flambée des prix à l’international et la volatilité des cours avaient laminé la rentabilité des distributeurs (marge nette tombée à 0,6 %), tandis que 2023 avait été grevée par le paiement des amendes infligées par le Conseil lui-même à l’issue des accords transactionnels.
L’analyse structurelle menée par l’autorité de la concurrence éclaire aussi les dynamiques internes du secteur. En dépit d’un nombre stable de sociétés agréées à l’importation (31 opérateurs), la part de marché des neuf majors historiques a reculé de 89 % en 2023 à 84 % en 2024, au profit de nouveaux entrants comme BGN Energy Maroc, BB Energy ou Appollo Petroleum. Cette recomposition s’accompagne d’un regain de compétition sur les marges, mais aussi sur les capacités de stockage et d’extension du réseau de distribution.
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La capacité nationale de stockage déclarée s’élève désormais à 1,15 million de tonnes, en hausse de 7,4 % par rapport à 2023. Quant au réseau de distribution, il comptait à fin 2024 près de 3 534 stations-service, dont 72 % sous contrôle des neuf principaux opérateurs. En parallèle, les volumes de vente ont progressé de 3 % pour atteindre 7,3 milliards de litres, traduisant un effet volume plus que prix dans les résultats consolidés du secteur.
Des écarts de marges significatifs entre gasoil et essence
Le rapport met également en lumière un différentiel structurel entre les deux types de carburants. Si la marge nette moyenne par litre en 2024 s’élève à 43 centimes pour le gasoil, elle atteint 61 centimes pour l’essence. Cette asymétrie s’explique par la combinaison de plusieurs facteurs : coûts d’approvisionnement différenciés, fiscalité spécifique, mais aussi politique commerciale orientée vers les segments les plus rentables.
De fait, le premier trimestre 2025 confirme cette tendance.
Les marges brutes commerciales moyennes enregistrées se situent à 1,24 DH/L pour le gasoil et 1,95 DH/L pour l’essence, avec des pointes à 2,11 DH/L. Malgré une baisse modérée des cotations internationales, les prix de cession appliqués par les distributeurs aux stations-service partenaires restent élevés, creusant un écart substantiel avec les coûts d’achat hors taxes.
Si l’année 2024 marque un retour à une performance financière solide pour l’ensemble du secteur — le retour sur capital employé (ROCE) atteignant 30 % et le rendement des capitaux propres (ROE) 29 % —, ces ratios doivent être lus à l’aune de fortes disparités. Certains opérateurs, autrefois parmi les plus généreux en distribution de dividendes, ont suspendu ces versements en 2024, faisant chuter le taux de distribution moyen à 41 % (contre 87 % sur la période 2018–2021).
Par ailleurs, l’analyse longitudinale révèle une baisse tendancielle de la rentabilité : en comparant les périodes 2018–2021 et 2022–2024, le taux de rentabilité moyen a été divisé par deux (de 3,7 % à 1,8 %), malgré des niveaux d’investissement constants autour de 1,3 milliard de dirhams annuels. Autrement dit, si 2024 a redressé les indicateurs, elle ne suffit pas à rétablir une dynamique soutenue sur le long terme.
Des implications politiques et sociales toujours sensibles
Ce dévoilement inédit des marges nettes intervient après un long feuilleton politico-économique, où l’opinion publique et les partis d’opposition ont fréquemment dénoncé l’absence de transparence sur les bénéfices tirés de la libéralisation des prix des carburants. Le Conseil de la concurrence, en publiant ces chiffres de manière désagrégée et étayée, apporte un éclairage inédit sur la structure de rentabilité du secteur.
Mais cette publication ne clôt pas le débat. Les écarts persistants entre les marges brutes à la pompe et les baisses internationales des cours suscitent de nouvelles interrogations quant à la formation des prix, la fluidité de la concurrence et la protection du pouvoir d’achat des consommateurs. À cela s’ajoutent des enjeux fiscaux considérables : les recettes générées par la TIC et la TVA sur les carburants ont atteint 6,86 MMDH pour le seul premier trimestre 2025.