RAM prend son envol pendant qu’Air Algérie s’enlise dans la tempête
Au-delà de la rivalité commerciale, les trajectoires de Royal Air Maroc (RAM) et d’Air Algérie traduisent des choix de gouvernance contrastés et, plus profondément, l’état de santé économique de leurs États respectifs. Si la compagnie marocaine s’impose progressivement comme un levier stratégique de rayonnement africain, l’algérienne peine à décoller, enlisée dans un contexte diplomatique hostile et une économie sous pression.
L’ambition de Royal Air Maroc ne se cache plus : devenir un acteur majeur du ciel africain et un trait d’union logistique entre continents. Soutenue par un chiffre d’affaires estimé à 1,7 milliard de dollars en 2024 et une couverture de 89 destinations – dont 28 en Afrique subsaharienne –, la compagnie nationale affiche une dynamique d’expansion continue. Cette stratégie trouve un écho particulier dans le contexte de deux échéances majeures : la Coupe d’Afrique des Nations 2025 et la Coupe du monde 2030, que le Maroc coorganisera.
Le programme d’investissement de RAM est sans précédent : 15 milliards de dollars mobilisés pour tripler la flotte d’ici 2030, en atteignant 130 appareils, avant de viser 200 avions à l’horizon 2037. L’ouverture de nouvelles routes vers Kigali, N’Djamena ou encore Khartoum s’inscrit dans une vision continentale, appuyée par des partenariats ciblés avec des transporteurs africains tels qu’Air Sénégal ou Mauritania Airlines. En filigrane, c’est toute la diplomatie économique marocaine qui s’articule autour de RAM, vecteur d’intégration régionale et pilier du tourisme national, avec un objectif de 90 millions de passagers à l’horizon 2035.
La compagnie, qui a rejoint l’alliance Oneworld en 2020, se positionne aujourd’hui comme la deuxième en Afrique, derrière Ethiopian Airlines. Le hub de Casablanca-Mohammed V, en pleine extension avec un terminal de 20 millions de passagers prévu en 2029, symbolise cette ambition de faire du Royaume une plateforme aéroportuaire intercontinentale. Selon Hamid Addou, PDG de RAM, « la modernisation de la flotte et l’amélioration de l’expérience passager » sont au cœur de cette stratégie offensive.
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Air Algérie ou l’échec de la perfusion étatique
À l’opposé, Air Algérie traverse une zone de fortes turbulences, reflet fidèle d’un appareil économique algérien en surchauffe. Sous perfusion publique et fragilisée par des tensions diplomatiques persistantes, la compagnie peine à asseoir sa présence sur le continent africain. L’interdiction de survol du territoire malien – conséquence directe d’un refroidissement géopolitique – illustre l’isolement croissant d’Alger. Et si des destinations telles que Zanzibar, Libreville ou Addis-Abeba figuraient dans les plans d’expansion, elles se heurtent à l’absence de partenariats solides et à la marginalisation d’Air Algérie hors des grandes alliances internationales.
Mais les limites de la compagnie relèvent aussi d’un contexte macroéconomique plus large. L’Algérie est aujourd’hui confrontée à une crise structurelle accentuée par la baisse des revenus gaziers en valeur réelle, la surveillance renforcée des transferts financiers par l’Union européenne, et la menace de taxes additionnelles sur ses hydrocarbures exportés vers les États-Unis. L’économie rentière se grippe, la devise nationale s’érode, et l’investissement productif peine à émerger. Dans ce contexte, Air Algérie, bien qu’ayant enregistré des pics de vente via des promotions massives, reste prisonnière d’un modèle étatisé et d’une dépendance chronique aux subventions publiques.
La création annoncée de la filiale « Domestic Airlines », censée absorber les liaisons intérieures avec une flotte de 16 ATR 72-600 d’ici 2028, illustre une volonté de réorganiser l’offre domestique. Mais cette restructuration, dépourvue de stratégie commerciale internationale claire, apparaît davantage comme un repli défensif qu’une offensive compétitive.
« Comparer RAM et Air Algérie, c’est comparer deux visions du développement et deux modèles de gouvernance », commente un analyste cité par Jeune Afrique. Le premier s’appuie sur la diversification, la connectivité et l’anticipation des mutations du secteur aérien mondial ; le second reste enfermé dans un cadre protectionniste, suspendu aux choix budgétaires de l’État et limité par l’absence de relais diplomatiques solides.