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Quand la morale se met à danser

Abdelilah Benkirane a refait surface. Et sans surprise, il n’a pas changé d’un iota. Toujours le même ton : moralisateur à souhait, populiste à l’excès, et généreusement nappé de contradictions maison. Une vieille recette qui ne vieillit pas, parce qu’elle ne mûrit jamais.

Pas de vision, pas de projet, encore moins de propositions concrètes. Benkirane revient avec son lot habituel de déclarations poussiéreuses, aussi obsolètes qu’un modem 56k qu’on essaierait de brancher sur la 5G de 2025. Sur la scène du congrès régional de son parti à Souss-Massa, il a livré ce qu’on peut désormais appeler son classique : un cocktail bien dosé de références religieuses, de victimisation personnelle, de folklore politique et de populisme ranci. Ce n’était pas un discours politique, mais du Benkirane pur jus, un one-man-show, un solo de Benkirane en roue libre, quelque part entre un prêche de vendredi, une séance de stand-up et un règlement de comptes sur fond de bendir.

« Interdit d’antenne », mais partout ailleurs

L’ancien chef du gouvernement a une arme favorite quand il manque de tribune : la victimisation en haute définition. « Je suis interdit de médias publics », clame-t-il, visiblement indigné. La cause ? Une conspiration de « crocodiles et démons » qui contrôleraient les ondes. Disney Channel n’a qu’à bien se tenir, voilà que le bestiaire politique marocain s’enrichit d’une faune fantastique. Mais soyons sérieux : quelle censure ? Benkirane est partout. En live Facebook de son parti sur fond de youyous, en boucle sur YouTube, en trending TikTok entre deux vidéos de chats. Il occupe l’espace médiatique sans antenne, mais avec une logistique de campagne digitale bien rodée.

Il s’érige en martyr, tout en saturant l’écosystème médiatique. Présent dans les mosquées, les congrès de son parti, les salons YouTube et les coins les plus bavards des réseaux, il réussit le tour de force d’être omniprésent et opprimé à la fois. En vérité, ce n’est pas un silence qu’il dénonce, c’est un monopole qu’il regrette. Et quand une chaîne lui échappe, il en fabrique dix autres à coups de groupes Telegram, de stories improvisées et de slogans calibrés. La censure devient storytelling, et la persécution, un plan com’ millimétré. Plus la posture de victime est bien jouée, plus le populisme brille en vitrine.

Les filles, mariez-vous. Le reste ? « Walo »

Dans l’univers benkiranien, l’émancipation féminine tient en un mot : mariage. Les études ? inutiles. Le travail ? Une diversion. Ce qu’il faut, selon lui, c’est un mari tamponné « halal », le plus tôt possible et le reste n’est qu’illusions. « Tout est possible après les noces », assure-t-il, menaçant celles qui oseraient différer l’alliance qu’elles finiront seules, avec leurs diplômes pour seule compagnie.

Sauf que voilà : dans la maison Benkirane, on pratique l’exception personnelle. Sa propre fille a étudié, obtenu un poste envié, et manifestement, n’a jamais été sommée de choisir entre le four et la fac. Il faut croire que les prêches s’arrêtent à la porte du domicile familial. Les sermons sont destinés aux autres. Et dans un pays où des milliers de jeunes femmes se battent chaque jour pour une once d’autonomie, ce discours sonne comme une gifle. Car sous son vernis de tradition, il nie tout simplement l’ambition des femmes et érige le mariage non comme un choix, mais comme un destin obligatoire.

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Épanouissement, carrière, liberté ? Accessoires. Seul le mari ferait foi. Mais quand celui qui donne des leçons oublie d’appliquer ses principes chez lui, on comprend que la morale n’est plus un cap, mais un costume. Autrement dit, faites ce que je dis, pas ce que je finance, dirait Benkirane.

Gaza, Mawazine … et le bendir salvateur

Un jour, le bendir est un péché XXL. Le lendemain, c’est un trésor culturel. Bienvenue dans la géopolitique selon Benkirane. À Rabat, il tonne contre le festival Mawazine : « On ne joue pas du tambour pendant que Gaza meurt ! » Un discours grave, empreint de solidarité… jusqu’à ce que l’on retrouve le même homme … en transe, 24 heures plus tard, à Agadir, souriant, canne jetée, mains levées au ciel, corps en joie, en train de danser comme un maestro d’Ahouach. Gaza ? Disparue du radar moral. Le bendir ? Subitement réhabilité au rang de patrimoine national. Le rythme était trop tentant pour résister et décidément.

La morale benkiranienne, comme le yaourt artisanal, se conserve mal quand la température monte. Et elle ne résiste visiblement pas à une bonne ambiance locale. Ce n’est pas la cause palestinienne qui choque ici, c’est l’indignation à géométrie variable, cette facilité à passer de la posture indignée au folklore dansant en un battement de tambour. Un militant le vendredi, un fêtard le samedi. Quand les principes valsent au rythme des percussions, ce n’est plus de la cohérence, c’est du théâtre. Et dans le cas de Benkirane, le bendir l’emporte toujours sur le discours.

Quand les Soussis deviennent Nippons

Dernier éclat de lucidité made in Benkirane : « Si tous les Marocains étaient comme les Soussis, on serait aussi développés que le Japon. » Rien que ça. Les Soussis apprécieront le compliment façon piment doux, le reste du pays serrera les dents, et les Japonais, eux, tenteront de comprendre le lien entre les deux. Cette perle d’ethnocentrisme improvisé, sortie tout droit d’un buffet à volonté de généralités, résume parfaitement le personnage : Benkirane, c’est l’art de balancer une phrase bancale avec l’assurance d’un prix Nobel.

Depuis qu’il a troqué les dossiers gouvernementaux contre la lumière flatteuse des caméras Facebook, l’homme ne fait plus qu’animer … pour exister. C’est à la fois maladroit, réducteur et insultant. Pour les Marocains. Pour les Soussis. Et pour les Japonais, qui doivent bien se demander ce qu’ils ont à voir dans ce sketch. Le message sous-jacent ? « Certains Marocains valent plus que d’autres ». Bravo pour l’unité nationale. Entre deux sermons dégoulinants de morale et une danse folklorique bien sentie, il brasse de la nostalgie, recycle ses indignations, et vend au peuple du vent, enroulé dans une djellaba de contradictions. Ce n’est plus un homme politique. C’est un phénomène. Une sorte de croisement entre un oncle à table de ftour et un influenceur du vendredi.

Depuis son retrait du pouvoir, Benkirane cultive sa légende dans les marges, loin des institutions, mais toujours très près des caméras partisanes. Il se présente comme une voix libre, un homme seul contre le système, mais qui a gouverné, nommé, signé, géré… Et qui aujourd’hui se réfugie derrière la facilité du « c’était pas moi, c’étaient les démons ». Il ne cherche plus à convaincre mais il distrait, il agite, il amuse et il provoque et combat l’ennui médiatique. Pendant ce temps, le chômage grimpe, l’école publique s’effondre, et lui, en tant que Secrétaire général du pjd, tranquille, il ne propose pas de solutions, il collectionne les punchlines et continue son numéro, moitié prêcheur, moitié influenceur, 100 % spectacle.

Le show Benkirane tourne en boucle. Appuyez sur « stop » à votre convenance, la bande-son reste la même, mais le volume est, avouons-le, diablement divertissant.

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