Le Maroc contraint d’adapter son approche
Le secteur marocain de l’outsourcing, pilier de l’économie numérique et pourvoyeur massif d’emplois qualifiés, est confronté à des mutations à fort impact. À compter d’août 2026, la France interdira le démarchage téléphonique non sollicité, une mesure qui bouleverse profondément l’écosystème des centres d’appels marocains, dont 80 % de l’activité est tournée vers le marché français selon les médias.
Ce changement réglementaire concerne directement la télévente B2C, qui peut représenter jusqu’à 70 % du chiffre d’affaires pour de nombreux prestataires, en particulier les petites structures. Selon les experts, l’impact humain et économique s’annonce sévère : entre 40 000 et 60 000 emplois pourraient être menacés, avec des prévisions plus alarmistes évoquant jusqu’à 100 000 pertes potentielles. Un choc brutal pour une filière qui, en 2023, avait généré 17,9 milliards de dirhams à l’export et créé 11 000 nouveaux emplois, portant son effectif total à plus de 141 000 personnes selon les médias.
Ce modèle économique, historiquement fondé sur le volume, la compétitivité salariale et une forte dépendance au démarchage, se trouve aujourd’hui fragilisé. Les agents, auparavant centrés sur la vente directe, voient leurs primes diminuer et doivent faire preuve d’une polyvalence accrue pour assurer la pérennité de leurs emplois.
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Pour survivre à cette mutation réglementaire et technologique, les experts s’accordent à dire que le secteur doit s’engager dans une réorientation stratégique en profondeur. Il ne s’agit plus seulement de vendre, mais de conseiller, d’accompagner et de fidéliser. Support technique, gestion de la relation client multicanal, back-office, modération de contenus ou encore programmes de fidélisation : ces métiers à plus forte valeur ajoutée sont jugés par les spécialistes du domaine comme étant moins vulnérables aux restrictions réglementaires et plus durables sur le long terme.
Le téléphone, désormais insuffisant à lui seul, doit s’inscrire dans une approche omnicanale. E-mails, réseaux sociaux, messageries instantanées, SMS ou encore chatbots font désormais partie intégrante de l’expérience client moderne. Cela implique des investissements conséquents dans des outils CRM intelligents, capables de centraliser les interactions, d’en assurer la traçabilité, et de garantir le respect des consentements dans le cadre du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD).
Paradoxalement, selon plusieurs analystes, l’intelligence artificielle, souvent perçue comme une menace pour l’emploi, pourrait également représenter un levier de transformation. Elle permet d’automatiser les tâches répétitives, de réaliser des analyses prédictives sur les comportements clients et de déployer des agents virtuels pour les demandes les plus simples, libérant ainsi les ressources humaines pour des interactions à plus forte valeur ajoutée. Les récentes annonces de restructuration chez Microsoft, qui a supprimé des milliers de postes en juillet 2025 dans le cadre de sa réorganisation autour de l’IA, rappellent que ce bouleversement des modèles est mondial et inéluctable.
Classé deuxième meilleure destination d’outsourcing en Afrique, le Maroc conserve des atouts indéniables : stabilité politique, vivier de compétences francophones, proximité culturelle et géographique avec l’Europe. Mais comme le soulignent plusieurs experts du secteur, ces forces devront désormais servir un modèle renouvelé, axé sur l’expertise, l’adaptabilité et la qualité. Si cette transformation est conduite avec rigueur, le choc induit par la réglementation française pourrait devenir une opportunité : celle de faire émerger un secteur marocain de l’outsourcing, plus résilient, plus innovant, et capable de s’imposer durablement comme un hub stratégique des services externalisés à haute valeur ajoutée.