La solidarité à l’épreuve du voisinage sud
Adoptée dans le cadre de la mise en œuvre du Pacte européen sur la migration et l’asile, la réserve annuelle de solidarité pour 2026 est une étape majeure dans le renforcement du régime migratoire européen. Ce dernier soulève des enjeux indirects pour les pays partenaires du voisinage sud, au premier rang desquels figure le Maroc, acteur central des dynamiques euro-méditerranéennes de gestion des migrations.
Le 8 décembre 2025, le Conseil de l’Union européenne a conclu un accord politique sur l’établissement de la réserve annuelle de solidarité pour 2026. Il s’agit d’une étape décisive dans la mise en œuvre opérationnelle du Pacte migratoire européen. Adopté en avril 2024 et appelé à être appliqué d’ici juin 2026, le Pacte européen sur la migration et l’asile constitue une réforme majeure de la politique migratoire de l’Union européenne. Celui-ci vise à rendre le régime d’asile européen plus efficace, en harmonisant les règles de responsabilité dans le traitement des demandes, en renforçant le contrôle des frontières extérieures et en instaurant un mécanisme permanent de solidarité entre États membres, dans le respect des droits fondamentaux.
La réserve de solidarité constitue l’un des outils centraux du nouveau système. Ce mécanisme de l’Union européenne (UE) issu du Pacte sur la migration et l’asile, vise à répartir plus équitablement les demandeurs d’asile entre les États membres (par relocalisation ou contribution financière), et ce, tout en soutenant les États membres soumis à une pression migratoire significative, en particulier dans l’espace méditerranéen.
Pour l’année 2026, le Conseil a fixé un objectif de référence de 21 000 relocalisations ou autres efforts de solidarité, ou, à défaut, 420 millions d’euros de contributions financières.
Les États membres disposent d’une flexibilité quant à la nature de leur engagement, pouvant opter pour des relocalisations, des contributions financières ou des mesures alternatives de solidarité, bien que la participation soit rendue obligatoire.
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Sur la base des critères quantitatifs et qualitatifs définis par le Pacte, la Commission européenne a identifié Chypre, l’Espagne, la Grèce et l’Italie comme des États soumis à une pression migratoire particulière, leur permettant de bénéficier prioritairement des mesures prévues par la réserve de solidarité.
Ce mécanisme vise à alléger la charge pesant sur les États de première entrée et à instaurer une solidarité structurelle, en rupture avec les dispositifs ad hoc qui avaient prévalu lors des crises migratoires antérieures.
Bien que juridiquement limité aux États membres de l’Union, le mécanisme de solidarité produit des effets indirects au-delà des frontières européennes. Le Maroc, classé par l’Union européenne comme pays d’origine sûr, bien que non lié juridiquement au Pacte, est engagé depuis plusieurs années dans des cadres de coopération étendus avec l’UE en matière de migration, couvrant notamment la gestion des frontières, la lutte contre les réseaux de trafic de migrants et la prévention des départs irréguliers. Cet engagement s’est notamment traduit par le Partenariat pour la mobilité UE–Maroc, conclu en 2013, qui vise à renforcer la coopération migratoire à travers une articulation entre facilitation des visas, appui au développement et amélioration de la gestion des flux migratoires.
Externalisation migratoire : Responsabilités juridiques et équilibres euro-méditerranéens
Ce cadre de coopération bilatérale s’inscrit plus largement dans une tendance européenne à l’externalisation partielle de la gestion migratoire vers les pays partenaires. Une orientation qui, si elle répond à des impératifs opérationnels et politiques, soulève néanmoins des interrogations juridiques et normatives.
L’externalisation soulève des questions relatives à la responsabilité partagée et aux limites juridiques de la coopération migratoire. Si le Pacte vise à mieux répartir les responsabilités entre États membres, il ne modifie pas les obligations internationales fondamentales de l’Union et de ses États, notamment celles découlant de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et du principe de non‑refoulement. La jurisprudence internationale et européenne rappelle que la délégation ou l’externalisation de certaines fonctions migratoires ne saurait exonérer les États de leur responsabilité en matière de protection des droits fondamentaux.
Si l’externalisation ne se traduit pas par un transfert des obligations juridiques de l’Union vers les pays tiers, elle n’en demeure pas moins susceptible d’influer sur les équilibres nationaux. La situation du Maroc s’inscrit précisément dans cette dynamique, marquée par un ajustement délicat entre coopération stratégique et respect des normes internationales.
D’un côté, le Royaume conserve sa pleine souveraineté en matière de politique migratoire et n’est pas juridiquement assujetti aux mécanismes du Pacte européen. De l’autre, l’approfondissement de la coopération avec l’Union européenne peut générer des incitations, voire des pressions, en faveur d’un alignement partiel de certaines pratiques sur les objectifs européens, notamment en matière de contrôle des flux.
Cette configuration met en évidence les tensions persistantes entre les impératifs de gestion migratoire, les exigences de solidarité et le respect des obligations juridiques internationales, invitant à une réflexion plus large sur les modalités de gouvernance euro-méditerranéenne des migrations.

