Economie

Quand la finance devient un outil de redistribution, de pouvoir d’achat et de souveraineté économique

Longtemps perçue comme un univers réservé à une élite financière, la Bourse continue de souffrir d’un profond procès en illégitimité sociale. Elle serait l’apanage des rentiers, un espace spéculatif déconnecté de l’économie réelle, voire un facteur d’aggravation des inégalités.

Cette lecture, largement répandue dans l’opinion publique, demeure pourtant réductrice. Elle occulte une réalité plus nuancée et, surtout, un potentiel stratégique majeur : lorsque les marchés financiers sont correctement structurés, rigoureusement régulés et réellement inclusifs, ils peuvent devenir de puissants leviers de redistribution des richesses, de soutien durable au pouvoir d’achat et de financement de l’économie productive, tout en renforçant l’attractivité d’un pays auprès des investisseurs internationaux.

La question n’est donc pas de savoir si les IPO et l’investissement boursier sont socialement utiles, mais bien dans quelles conditions ils peuvent être mis au service de l’intérêt général.

De l’épargne passive à la participation active à la création de valeur

L’introduction en Bourse constitue avant tout un acte de transformation économique. En ouvrant son capital au public, l’entreprise rompt avec une logique de concentration patrimoniale pour s’inscrire dans une dynamique de partage de la valeur. Ce mouvement, lorsqu’il s’accompagne d’une politique d’accès équitable aux titres, permet aux ménages de devenir acteurs – et non plus simples spectateurs – de la croissance économique.

L’épargne, trop souvent immobilisée dans des supports à faible rendement ou à vocation purement défensive, retrouve alors une fonction productive. Investie en actions, elle finance directement l’expansion des entreprises, tout en offrant aux épargnants des perspectives de revenus complémentaires à travers les dividendes et la valorisation du capital. C’est à ce stade qu’opère une première forme de redistribution, non par transfert direct, mais par participation au cycle de création de richesse.

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Dans les économies où l’actionnariat individuel est largement diffusé, la constitution d’un patrimoine financier joue un rôle déterminant dans l’amélioration du niveau de vie à long terme. Elle réduit la dépendance exclusive au revenu du travail et renforce la résilience financière des ménages face aux aléas économiques.

Pouvoir d’achat : Un effet indirect mais structurant

Le lien entre marché boursier et pouvoir d’achat est souvent mal compris, car il n’est ni immédiat ni mécanique. Il n’en est pas moins profond. Une entreprise qui se finance par le marché renforce ses fonds propres, réduit sa vulnérabilité financière et accroît sa capacité d’investissement. Cette solidité accrue se traduit par des gains de productivité, une compétitivité renforcée et, à terme, par la création d’emplois plus qualifiés, plus stables et mieux rémunérés.

Or, le pouvoir d’achat ne dépend pas uniquement de l’évolution des salaires nominaux. Il repose également sur la sécurité de l’emploi, la capacité de l’économie à générer de la valeur ajoutée et la maîtrise de l’inflation par l’offre. À cet égard, un tissu entrepreneurial bien capitalisé constitue un préalable indispensable à l’équilibre économique et social.

S’y ajoute un facteur souvent sous-estimé : la diffusion de l’actionnariat salarié. Lorsque les collaborateurs deviennent actionnaires de leur entreprise, ils bénéficient directement de sa performance économique. Cette convergence entre capital et travail incarne l’une des formes les plus abouties de redistribution endogène et durable.

La Bourse, vecteur discret mais réel de redistribution des richesses

Contrairement aux idées reçues, les marchés financiers ne se contentent pas de concentrer la richesse ; ils la redistribuent selon des mécanismes multiples et interdépendants. Les dividendes versés aux actionnaires irriguent l’économie domestique. La fiscalité sur les plus-values et les transactions alimente les finances publiques, contribuant au financement des politiques sociales et des services collectifs. Les fonds de pension et les compagnies d’assurance, investisseurs institutionnels de premier plan, transforment les performances boursières en pensions de retraite et en produits d’épargne longue.

Ainsi, la richesse créée par les entreprises cotées se diffuse bien au-delà de leurs seuls actionnaires directs, à condition que le cadre fiscal et réglementaire garantisse une redistribution équilibrée, lisible et transparente.

Financer l’économie sans alourdir la dette : Un enjeu de souveraineté

Dans un contexte mondial marqué par la montée des dettes publiques et la volatilité des conditions financières internationales, le recours au marché boursier s’impose comme un choix stratégique. Les IPO permettent de financer la croissance sans recourir excessivement à l’endettement bancaire ni aux ressources budgétaires de l’État. Elles contribuent à la désintermédiation du financement de l’économie et allègent la pression sur les finances publiques.

Un marché financier profond et liquide offre à l’État un double avantage : se concentrer sur ses missions régaliennes tout en orientant, par la régulation et l’incitation, les flux de capitaux vers des secteurs jugés prioritaires. La Bourse devient alors un instrument de politique économique indirecte, au service du développement et de la souveraineté nationale.

Attirer les capitaux étrangers : La crédibilité avant tout

Les investisseurs internationaux ne recherchent pas uniquement des rendements attractifs. Ils privilégient avant tout des environnements crédibles, prévisibles et transparents. Une dynamique régulière d’introductions en Bourse, encadrée par des règles strictes de gouvernance et de publication financière, envoie un signal fort quant à la maturité institutionnelle d’un pays.

Les IPO constituent ainsi une véritable vitrine. Elles témoignent de la qualité des entreprises locales, de la solidité du cadre réglementaire et de la capacité du marché à absorber des volumes significatifs de capitaux. Les flux étrangers qui en résultent ne se limitent pas à des apports financiers ; ils s’accompagnent de transferts de compétences, de standards de gouvernance élevés et de partenariats stratégiques de long terme.

Une condition non négociable : L’inclusion financière

Toutefois, la Bourse ne peut devenir un outil de progrès social que si elle est pensée comme telle. Sans pédagogie financière, sans protection rigoureuse des investisseurs et sans accès réel pour les classes moyennes, elle risque de renforcer les asymétries existantes. L’enjeu central réside donc dans l’inclusion : inclusion des ménages, des PME, des salariés et des investisseurs de long terme.

C’est à cette condition que les IPO et l’investissement boursier peuvent dépasser leur image de mécanismes technocratiques pour s’imposer comme des instruments de redistribution moderne, compatibles avec la croissance, le pouvoir d’achat et la souveraineté économique.

Réconcilier finance et projet de société

La finance de marché n’est ni vertueuse par nature ni condamnable par essence. Elle reflète les choix politiques, institutionnels et culturels qui l’encadrent. Les IPO et l’investissement boursier peuvent tout aussi bien nourrir la spéculation et les inégalités que devenir des leviers puissants de financement de l’économie réelle et de partage de la valeur.

Le véritable débat n’est donc pas idéologique, mais stratégique. Il s’agit de savoir si l’on souhaite une Bourse périphérique et méfiante, ou une Bourse centrale, inclusive et pleinement intégrée à un projet économique et social assumé. Pour les pays en quête de croissance durable et de justice économique, ce choix est loin d’être anodin.

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