Economie

Entre symbole sacré et gaspillage endémique

Chaque jour, onze milliards de pains disparaissent dans les poubelles marocaines, dilapidant 13,2 milliards de dirhams annuels. Cette hémorragie financière, loin d’être circonscrite aux cuisines domestiques, révèle une pathologie systémique qui gangrène l’ensemble de la filière. Entre traditions festives excessives et infrastructures défaillantes, le Maroc gaspille une ressource vitale, mais aussi son engagement envers l’équité sociale et la durabilité environnementale.

Au cœur de la culture marocaine, le pain dépasse son statut de simple aliment pour s’ériger en pilier socio-culturel, symbole de subsistance, de partage et de commensalité. Pourtant, une réalité brutale vient écorner cette image sacralisée : le Maroc est le théâtre d’un gaspillage de pain aux proportions vertigineuses. Loin d’être un épiphénomène anecdotique, cette déperdition massive constitue une aberration économique, une faille éthique et une charge écologique insoutenable, révélant les profondes contradictions d’un système où l’abondance ostentatoire côtoie la précarité.

Les chiffres, issus d’une analyse rigoureuse du Conseil de la concurrence, sont sans appel et dessinent les contours d’une hémorragie financière et matérielle. Avec près de trente millions d’unités jetées chaque jour, le volume annuel atteint le chiffre stupéfiant de onze milliards de pains, représentant une perte sèche évaluée à plus de 13,2 milliards de dirhams. Ce phénomène, loin de se limiter à la sphère domestique, s’avère être une pathologie systémique qui contamine l’intégralité de la chaîne de valeur, depuis les parcelles agricoles jusqu’au consommateur final. Il est symptomatique d’habitudes de consommation déraisonnables et de traditions festives où la profusion l’emporte sur la modération, transformant un symbole de vie en déchet.

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Les ramifications de ce gaspillage sont profondément structurelles et pernicieuses. Une part substantielle des subventions étatiques, allouées au blé tendre pour garantir l’accès au pain aux ménages les plus modestes, se trouve ainsi littéralement dilapidée. Ces ressources publiques, détournées de leur vocation sociale première, ne font qu’alourdir le fardeau du système de compensation, en sapant l’efficacité et la légitimité. La chaîne de production elle-même est une succession de fuites : des pertes agricoles frôlant les 20% en raison d’infrastructures de stockage obsolètes et d’aléas climatiques, auxquelles s’ajoutent les déperditions durant l’entreposage et la distribution.

Au-delà du coût financier exorbitant, la facture écologique de ce gaspillage est tout aussi alarmante. La production de chaque kilogramme de blé engloutit des centaines de litres d’une ressource en eau de plus en plus précieuse, une énergie et des terres agricoles exploitées en vain lorsque le produit final est destiné à la poubelle.

Ce cycle absurde d’hyperproduction et de gaspillage met en lumière une dissonance cognitive collective. Il est impératif d’engager une réflexion nationale pour réformer non seulement les pratiques de consommation, mais aussi pour moderniser l’ensemble de la filière. Il en va de la cohérence économique, de la justice sociale et de la responsabilité environnementale du Maroc, afin que le pain retrouve sa juste place, celle d’un trésor nourricier et non celle d’un déchet banalisé.

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