Au cœur d’un nexus stratégique
Le diagnostic du Conseil de la Concurrence révèle un secteur meunier marocain sous pression, partagé entre déficit de production nationale, interventions publiques génératrices de distorsions et surcapacités structurelles. À l’heure des réformes, la filière est appelée à repenser sa gouvernance, renforcer sa compétitivité et sécuriser durablement l’approvisionnement du pays.
Le secteur meunier marocain, pierre angulaire de la filière céréalière et garant de l’approvisionnement en denrées de première nécessité, se trouve à un carrefour critique. Un avis récent et exhaustif du Conseil de la Concurrence a projeté une lumière crue sur les complexités de ce marché, le dépeignant comme un écosystème sous tension, oscillant entre les impératifs de souveraineté alimentaire, les exigences de compétitivité et les défis impérieux de la durabilité. L’analyse institutionnelle met en exergue une architecture sectorielle dont la résilience est mise à l’épreuve par des chocs exogènes, tant climatiques que géopolitiques, et par des dysfonctionnements endogènes qui en entravent le plein potentiel.
Le diagnostic révèle une dichotomie fondamentale : le marché est inextricablement lié à une production céréalière nationale structurellement déficitaire et, simultanément, à une dépendance substantielle aux importations, notamment de blé tendre. Cette double allégeance engendre une vulnérabilité systémique, exacerbée par la volatilité des cours mondiaux et les aléas climatiques récurrents. L’interventionnisme étatique, bien que conçu comme un rempart stabilisateur des prix, a paradoxalement engendré des distorsions concurrentielles notables. En particulier, une surcapacité de production chronique, maintenue sous perfusion par des mécanismes de soutien, a anesthésié les forces vives du marché, limitant l’efficience et fragilisant les opérateurs de plus petite taille face à une concentration progressive du secteur.
Lire aussi : Le Conseil de la concurrence accorde une extension des délais au CMI pour la cession de ses contrats
Un nouveau cap pour l’amont agricole et la gouvernance sectorielle
Face à cette conjoncture, le Conseil de la Concurrence plaide pour une réforme paradigmatique qui s’attaque aux racines du problème, à commencer par l’amont agricole. La faible productivité et, surtout, le déficit qualitatif de la céréaliculture nationale sont identifiés comme des freins majeurs. La préconisation d’une révision du système de prix de référence, afin d’y intégrer une composante qualitative, constitue une proposition disruptive. Elle vise à incentiver une production vertueuse et à réduire le recours systématique à des blés d’importation souvent dotés de caractéristiques technologiques supérieures. Cette démarche, couplée à la promotion d’une contractualisation agro-industrielle pluriannuelle entre producteurs et minoteries, ambitionne de sécuriser les débouchés et de structurer des filières locales intégrées et performantes.
La refonte préconisée s’étend à la gouvernance même du secteur. Il est suggéré de recentrer les missions de l’Office National Interprofessionnel des Céréales et des Légumineuses (ONICL) sur des fonctions régaliennes de veille stratégique et de régulation de crise, le délestant de ses implications commerciales directes. Parallèlement, le renforcement du rôle de l’interprofession est appelé à catalyser une coordination plus efficace entre les acteurs, dans le respect scrupuleux du droit de la concurrence. Cette nouvelle architecture de gouvernance doit s’appuyer sur une transparence accrue, notamment par la digitalisation du suivi des prix, et sur une gestion optimisée des ressources critiques, telles que l’eau et les capacités de stockage stratégique, qui doivent transcender les simples besoins conjoncturels.
En aval, pour l’industrie meunière elle-même, l’objectif est de catalyser une compétitivité durable. Cela implique de réorienter les surcapacités vers des marchés d’exportation et de soutenir la modernisation des petites et moyennes minoteries par un accès facilité au financement et à l’innovation technologique. Simultanément, une surveillance accrue des phénomènes de concentration est jugée indispensable pour prévenir tout abus de position dominante et garantir une concurrence saine.
La réforme la plus sensible demeure celle des subventions. L’avis prône une transition audacieuse d’un système de soutien généralisé des prix vers un modèle d’aides directes, ciblant avec précision les populations vulnérables et les agriculteurs les plus performants, en parfaite cohérence avec la stratégie nationale de protection sociale. Cette évolution, qui nécessite une évaluation d’impact rigoureuse, est la clé de voûte d’un système plus juste et économiquement soutenable.

