CDG, l’architecte silencieux de l’État social et du Maroc moderne
Il y a des institutions dont la présence est si profondément inscrite dans la trame d’un pays qu’elles en deviennent presque invisibles. La Caisse de Dépôt et de Gestion appartient à cette catégorie rare : celle des bâtisseurs silencieux. Depuis plus de six décennies, elle façonne, structure, stabilise et projette le Maroc par la constance d’un engagement qui épouse les transformations du Royaume et anticipe, souvent, ce que sera son avenir.
La CDG n’est pas seulement un investisseur public parmi d’autres. Elle est l’ossature discrète d’un État stratège qui a très tôt compris que le développement national requerrait un acteur capable d’articuler le temps long, celui de la prévoyance, des infrastructures et de l’aménagement, avec le temps court de l’économie, de l’innovation et de la compétitivité. Ce rôle singulier, la CDG l’a assumé avec une rigueur qui force le respect, en accompagnant toutes les grandes étapes du Maroc moderne.
Les années 1960 : le Maroc se modernise, la CDG structure
À peine une année après sa création, l’État lui confie la gestion de la CNRA. La symbolique est forte : c’est à la CDG que l’on demande d’ériger le premier pilier de la protection sociale moderne. Ce mandat inaugural installe la Caisse dans une mission fondatrice, celle de garantir la confiance, discipliner l’épargne, protéger les générations. Simultanément, la CDG impulse une modernisation accélérée des secteurs clés tels que le logement avec la création de la CGI ; le tourisme avec l’entrée au capital de la Compagnie Thermale de Moulay Yacoub et l’extension des activités de Maroc-Tourist ; l’industrie et le transport avec des participations structurantes, notamment dans Lafarge Maroc, la CTM ou encore Royal Air Inter.
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Dans un pays en quête de stabilité économique et d’outils financiers modernes, la CDG pose également les bases de ce qui deviendra un système bancaire robuste, à travers la gestion du FEC et son soutien aux premières banques nationales.
Les années 1970 : consolider, organiser, planifier
Cette décennie est celle de la structuration. Le Maroc approfondit l’organisation de la prévoyance, avec la mise en place du Régime Collectif d’Allocation de Retraite (RCAR), confié à la CDG. Sur le plan économique, la Caisse investit dans des acteurs stratégiques – CNIA, CIH, SNI – renforçant ainsi la capacité du pays à financer son développement. Mais c’est surtout sur le territoire que la CDG marque une inflexion majeure : pour la première fois, l’aménagement planifié entre dans les pratiques publiques avec l’équipement d’une zone témoin de 50 hectares à Tanger. Un geste fondateur pour la politique d’aménagement moderne.
À cela s’ajoute un mandat singulier, celui de la gestion de la Loterie Nationale, dont les revenus financent des projets à vocation sociale. Déjà se dessine une logique de faire converger investissement, cohésion sociale et développement territorial.
Les années 1980 : accompagner l’urbanisation et le progrès social
Alors que les villes marocaines connaissent une croissance rapide, la CDG apporte des réponses concrètes. En 1983, la création de la Société d’Aménagement Hay Riad participe à la structuration de Rabat moderne. Sur le plan social, le lancement du régime RECORE, en 1988, élargit la couverture retraite, tandis que la création d’EQDOM démocratise l’accès des ménages au crédit, contribuant à l’essor de la consommation et de la classe moyenne.
Dans le même esprit, le programme des branchements sociaux via le FEC relie plus de 150 000 ménages à l’eau potable ; un impact direct, mesurable, sur les conditions de vie.
Les années 1990 : professionnaliser la finance, accélérer l’industrialisation
La décennie 1990 voit la montée en puissance d’un Maroc qui s’industrialise et cherche à attirer les investissements. En 1997, la création de CD2G, future CDG Capital Gestion, marque l’entrée du pays dans la gestion d’actifs moderne. La CDG professionnalise les pratiques, introduit des standards internationaux et catalyse l’épargne institutionnelle.
Parallèlement, elle aménage des zones industrielles structurantes – Gzenaya, Bouznika – qui préparent l’intégration du Maroc dans les chaînes de valeur mondiales.
Les années 2000 : la CDG devient le moteur des grands chantiers nationaux
C’est la décennie du changement d’échelle. Le Maroc engage des projets qui transforment durablement son attractivité et son modèle urbain. La CDG est au centre. Elle modernise la prévoyance, intègre de nouveaux régimes (OCP, ONE), bancarise massivement les pensionnés. Sur le terrain financier, elle crée CDG Capital, relance un CIH fragilisé et accompagne l’inclusion avec la création du Fonds JAIDA. Elle innove aussi dans la finance durable, lançant en 2008 le premier Fonds Carbone du pays.
Mais c’est dans l’aménagement que son empreinte devient la plus spectaculaire : Bouregreg, Zenata, Oued Fès, Marina de Casablanca, Casablanca Free Zone, Casanearshore, Technopolis, Fès Shore… Autant de projets qui modèlent la nouvelle géographie économique du Maroc. Enfin, la création de Novec ancre une ingénierie nationale de haut niveau, capable d’accompagner l’ambition du Royaume.
Les années 2010 : recentrer, renforcer, résiliser
Dans un contexte international instable, la CDG adopte en 2017 une stratégie renouvelée : clarifier ses métiers, renforcer sa gouvernance et se repositionner selon trois modes d’intervention ; expert, co-financeur, co-investisseur. Elle réussit l’intégration complète des caisses internes de retraite, améliore la performance énergétique de ses projets, développe des stations touristiques structurantes (Taghazout, Saïdia, Mazagan) et renforce le financement des PME via Finéa.
Le modèle se diversifie, mais gagne en robustesse. Le rôle de la CDG dans la résilience économique du Maroc apparaît alors pleinement.
Plus qu’un acteur économique : une institution de confiance et de projection
Ce que révèlent ces six décennies, c’est une constante : la CDG est l’institution qui stabilise, qui anticipe, qui construit. Là où d’autres acteurs suivent les cycles économiques ou politiques, la CDG inscrit son action dans la durée. Elle agit comme un trait d’union entre les générations, un amortisseur des crises et un accélérateur des transitions.
Aujourd’hui, au moment où le Maroc aborde de nouveaux défis – transition énergétique, digitalisation, financement de l’État social, attractivité internationale – la Caisse dispose d’une expérience, d’un capital de confiance et d’un savoir-faire rares. Elle demeure ce qu’elle a toujours été : un pilier stratégique de la souveraineté économique du Royaume, une institution qui a su rester fidèle à sa mission tout en se réinventant constamment.
Le temps long comme horizon
Dans un monde où la vitesse fragilise, la CDG revendique le temps long. Dans un paysage économique parfois volatile, elle incarne la stabilité. Dans un pays qui avance, elle prépare les trajectoires futures. Derrière les métropoles qui s’élèvent, les zones industrielles qui s’animent, les touristes qui affluent, les retraités qui perçoivent leurs pensions, les entreprises qui se financent, il y a souvent la main discrète mais décisive de la CDG.
La Caisse n’est pas seulement un acteur du développement, elle en est le fil conducteur, la mémoire et la projection. Et c’est en cela qu’elle demeure, aujourd’hui encore, l’un des architectes silencieux du Maroc moderne.

