Agriculture, tourisme, industrie : les provinces du Sud à l’heure de l’émergence économique
Entre développement touristique, valorisation des ressources naturelles et projets industriels ambitieux, les provinces du Sud s’imposent comme de véritables laboratoires de l’émergence économique, révélant un potentiel encore largement sous-exploité mais en pleine accélération.
Portées par un modèle d’investissement public massif et une stratégie de diversification, les provinces du Sud amorcent une mutation économique où l’agriculture, la pêche, le tourisme et l’industrie deviennent les piliers d’un développement durable et régionalement intégré. L’État a injecté des milliards de dirhams pour désenclaver ces régions et en faire des pôles de croissance. Routes côtières, ports, plateformes logistiques, aéroports, complexes industriels et stations touristiques jalonnent désormais le territoire.
Cette dynamique s’inscrit dans le cadre du «Nouveau modèle de développement des provinces du Sud», lancé par le Roi Mohammed VI en 2015, et dont l’objectif affiché est de transformer ces territoires en passerelles économiques entre le Maroc et l’Afrique subsaharienne.
Sur le plan macroéconomique, la reprise nationale favorise ce tournant. Le secteur primaire, moteur traditionnel des régions du sud, a retrouvé un rythme de croissance soutenu. Selon le Haut-commissariat au plan, la valeur ajoutée du secteur agricole et halieutique a progressé en 2023 d’environ 1,6% et ne cesse de progresser depuis.
Cette embellie rejaillit directement sur les provinces du Sud, où la pêche, l’agriculture sous serre et l’aquaculture représentent des gisements d’emploi essentiels. À Dakhla et Laâyoune, la pêche reste le poumon économique. Dans la région Dakhla-Oued Eddahab, elle contribue à hauteur de près de 27% au PIB régional et emploie environ 43.000 personnes, selon les dernières études régionales.
Le port de Dakhla est devenu l’un des plus actifs du Royaume, grâce à ses infrastructures modernes et à la richesse de ses eaux poissonneuses. Sardines, poulpes, maquereaux et crustacés y sont débarqués en quantité, puis exportés ou transformés dans les unités locales. Les projets d’aquaculture, soutenus par le ministère de la Pêche maritime, gagnent également du terrain, diversifiant une filière longtemps centrée sur la pêche artisanale.
Quand l’agriculture se réinvente
L’agriculture, quant à elle, se réinvente sous la contrainte du climat. Les conditions arides imposent une gestion rigoureuse de l’eau et des surfaces cultivables. Les projets d’irrigation goutte-à-goutte, de désalinisation et de culture sous serre se multiplient, notamment à proximité de Dakhla et Guelmim. Ces innovations permettent de produire des légumes, des tomates cerises ainsi que des fruits destinés au marché local et à l’exportation. Des programmes pilotes d’agriculture durable visent à réduire la dépendance à l’eau et à renforcer la résilience face au changement climatique. Mais c’est sans doute le tourisme qui symbolise le mieux la métamorphose du sud.
Dakhla, il y a encore quinze ans considérée comme une ville isolée, est devenue un nom connu sur la carte mondiale du kitesurf. Sa lagune, balayée par des vents constants, attire des milliers de passionnés chaque année. Les investissements dans l’hébergement haut de gamme, les écolodges et les campements de luxe ont explosé. Le profil du visiteur a également changé : moins de tourisme de masse, davantage de tourisme d’expérience, où la nature, le sport et la culture saharienne se conjuguent.
En 2024, alors que le Maroc enregistrait 17,4 millions d’arrivées touristiques, les provinces du sud ont affiché une croissance supérieure à la moyenne nationale sur les segments de niche, un signal fort pour les investisseurs. Le développement touristique s’accompagne d’un effort de structuration locale.
Les autorités régionales travaillent à la formation de guides, à la promotion du tourisme écologique et à la protection des écosystèmes fragiles. Des événements sportifs internationaux, comme la Dakhla downwind challenge ou des compétitions de kitesurf, participent à la notoriété de la région tout en dynamisant le tissu économique local.
OCP en première ligne
L’industrie, pour sa part, s’affirme autour de deux axes : la transformation des produits halieutiques et la valorisation des ressources minières, notamment les phosphates. À Boucraa, près de Laâyoune, le complexe de la société Phosboucraa, filiale d’OCP, entre dans une nouvelle phase. Un vaste programme d’investissement prévoit la construction d’un complexe industriel intégré capable de produire un million de tonnes d’engrais par an. L’objectif est de passer d’une économie d’extraction à une économie de transformation locale, génératrice de valeur ajoutée et d’emplois qualifiés.
Au-delà du phosphate, les provinces du Sud misent sur la logistique et la connectivité. Le projet du port atlantique de Dakhla, en cours de réalisation, est présenté comme un futur hub maritime majeur reliant le Maroc à l’Afrique de l’Ouest. Ce chantier, le plus important du pays, doit permettre l’exportation accrue de produits halieutiques, agricoles et industriels, tout en attirant des investissements logistiques et portuaires. Il s’inscrit dans une stratégie nationale visant à renforcer l’influence économique du Maroc sur le continent africain.
Ce qu’il reste à faire
Les effets de ces politiques se font sentir, mais les défis demeurent. La question de l’eau demeure centrale : la rareté des ressources hydriques pourrait freiner les ambitions agricoles et touristiques. Les infrastructures doivent encore être consolidées, notamment en matière d’énergie et de transport intérieur. Les flux d’investissement privé, bien que croissants, demeurent en deçà du potentiel régional.
Pour attirer davantage d’acteurs étrangers, la transparence administrative et la stabilité réglementaire seront décisives. Cependant, le bilan global est positif. Les provinces du Sud sont passées du statut de zones marginales à celui de laboratoires de développement intégré.
Elles incarnent désormais la volonté du Maroc de bâtir une économie régionale équilibrée, ouverte sur l’Afrique et ancrée dans la durabilité. Les perspectives à moyen terme sont prometteuses : montée en puissance de l’industrie des engrais, essor du tourisme sportif et écologique, diversification des exportations halieutiques, et émergence de nouvelles activités logistiques.
L’enjeu pour les prochaines années sera de consolider cette dynamique en favorisant la formation locale, la préservation de l’environnement et la création d’un tissu entrepreneurial solide. Les provinces du Sud s’affirment ainsi comme un miroir de la transformation du Maroc, un espace où l’ambition économique se conjugue avec l’identité territoriale, où les défis environnementaux imposent l’innovation, et où la croissance, désormais tangible, commence à dessiner les contours d’une véritable émergence.
Ilyas Bellarbi / Les Inspirations ÉCO

