Economie

Transformer l’élan en croissance durable

Animé par des talents de haut niveau mais encore bridé par une aversion persistante au risque, l’écosystème start-up marocain avance à pas mesurés. En 2024, il a levé 94,2 millions de dollars et gagné du terrain en se hissant au 88ᵉ rang mondial, porté par des opérations structurantes comme celle de Chari. Pour franchir un cap, il lui faudra conjuguer capital patient, accès aux marchés et accompagnement post-investissement : une convergence essentielle pour transformer le potentiel en une croissance durable.

L’innovation technologique s’impose comme l’un des moteurs centraux de l’économie mondiale. Les géants Microsoft, Apple ou Alphabet dominent aujourd’hui les marchés financiers après avoir été, à leurs débuts, de petites équipes testant des solutions inédites. Cette ascension, du projet frugal à l’acteur macroéconomique, inspire les pays qui veulent convertir les idées et les talents en croissance durable. Au Maroc, la qualité des compétences et la pertinence de nombreuses initiatives ne sont plus à démontrer. Pourtant, la transformation des prototypes en offres industrialisées demeure difficile. L’aversion au risque d’investissement, combinée à une profondeur de marché en capital encore limitée, maintient un écart entre le potentiel identifié et les résultats tangibles.

Selon des spécialistes des politiques d’innovation, l’expérience française montre ce que peut produire une stratégie cohérente. Autour de Station F, vaste campus consacré aux jeunes pousses, la France a structuré l’accompagnement, fluidifié la rencontre entre entrepreneurs et investisseurs et rapproché startups et grands comptes. En 2024, l’Hexagone recensait 22 licornes, signe d’une capacité à financer la montée en puissance lorsque gouvernance, marché et technologie sont alignés. La levée de 500 millions de dollars d’EcoVadis en 2022 illustre l’efficacité d’une ingénierie de financement complète et d’un accès organisé aux débouchés publics et privés. Ce succès repose sur un triptyque clair : capital couvrant toutes les étapes, accompagnement exigeant, connexion réelle à la commande.

Maroc Tech : élan confirmé, jalons de maturité et verrous à lever

Le Royaume progresse, même si la route reste encore longue. Longtemps qualifié d’embryonnaire, l’écosystème a changé de dimension en 2024 avec 94,2 millions de dollars levés par les startups locales, contre 17 millions en 2023, selon le rapport « Morocco Venture & Startup Ecosystem 2024 » publié par l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P), ainsi qu’une progression dans le classement au Global Startup Ecosystem Index 2025 (88e). Pour de nombreux acteurs du capital-risque, ces indicateurs témoignent d’une dynamique plus soutenue, portée par une nouvelle génération d’entrepreneurs, par des investisseurs plus présents et par une régulation qui clarifie progressivement les règles du jeu.

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Les succès récents viennent renforcer la crédibilité de cette dynamique. Chari, plateforme marocaine de e-commerce B2B, a annoncé en octobre 2025 une Série A de 12 millions de dollars et obtenu une licence d’établissement de paiement auprès de Bank Al-Maghrib. Selon des experts du secteur financier, ce double jalon combine financement et reconnaissance réglementaire, deux leviers décisifs pour attirer des partenaires, structurer la conformité et engager une expansion régionale.

Toutefois, des fragilités persistent. Le financement de croissance reste, d’après les professionnels du capital-investissement, le maillon faible. Les tours de table de série A et de série B demeurent peu nombreux, ce qui limite l’industrialisation, la capacité à recruter à grande échelle et la tenue de cycles de vente longs, notamment en B2B. La culture de l’audace financière manque aussi de relais. Dans d’autres écosystèmes, les réussites entrepreneuriales se traduisent par un retour massif de capitaux vers des projets risqués mais transformants. Les analystes citent volontiers les philanthropes-investisseurs qui injectent du capital patient dans des solutions de rupture. Au Maroc, ce réflexe de réinvestissement structurant, associant financement et accompagnement stratégique, reste encore insuffisant.

L’accès au marché constitue, selon des dirigeants de startups et d’entreprises, un second verrou. Les achats innovants, pilotes rémunérés et partenariats technologiques existent mais demeurent trop ponctuels. Or la première commande significative crédibilise la solution, améliore la trésorerie et réduit le risque perçu par les investisseurs. Sans ce pont vers le client, le capital ne suffit pas. Les spécialistes recommandent d’institutionnaliser des programmes d’intégration dans les chaînes de valeur, de faciliter l’interopérabilité via des API, de prévoir des clauses d’essai contractuelles et des critères d’évaluation adaptés aux jeunes entreprises.

Capital, marchés, accompagnement : Convertir l’élan en croissance durable du Royaume

Pour convertir l’élan observé en trajectoires durables, trois axes d’action s’imposent, selon un consensus d’experts. D’abord, densifier l’offre de capital à l’étape de l’accélération : attirer des fonds spécialisés, encourager le co-investissement local-international et créer des mécanismes de partage de risque mobilisant les institutionnels. Ensuite, systématiser l’accès aux marchés : réserver une part des achats à l’innovation locale, formaliser des appels à solutions, encadrer des pilotes avec objectifs mesurables et accélérer l’onboarding technique. Enfin, renforcer l’accompagnement post-investissement : gouvernance, conformité, propriété intellectuelle, cybersécurité, internationalisation et préparation des levées suivantes, afin d’augmenter le taux de passage à l’échelle plutôt que de multiplier uniquement les créations.

Le Royaume dispose de compétences solides et de cas d’usage à fort impact : industrie verte, santé numérique, agritech, fintech, logistique intelligente. La feuille de route est claire : libérer davantage de capital de croissance, ancrer une culture assumée de la prise de risque, ouvrir plus largement les marchés et renforcer le soutien après l’investissement. Si ces conditions convergent, l’écosystème marocain passera de l’élan ponctuel à une performance soutenue et s’imposera comme un véritable moteur de la transformation économique nationale et du rayonnement régional.

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