Economie

Le stockage au cœur d’une nouvelle valorisation médicale au Maroc

Parue dans Scientific Reports (Nature), une étude marocaine menée sur 150 échantillons de résine du Rif révèle qu’un stockage prolongé – jusqu’à huit ans – modifie profondément la composition : baisse marquée du THC, hausse du CBD et du CBN. Des résultats aux implications majeures pour la justice, la régulation et l’industrie médicale, qui plaident en faveur de normes de conservation plus strictes.

Publiée en septembre dans Scientific Reports (groupe Nature), une étude conduite par l’Institut scientifique de médecine légale de la Gendarmerie Royale, en partenariat avec le Laboratoire de chimie organique appliquée de la Faculté des sciences et techniques de l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah (Fès), apporte un éclairage inédit sur le devenir chimique de la résine de cannabis marocaine lorsqu’elle est conservée sur de longues périodes, jusqu’à huit ans. C’est la première fois que des données issues d’échantillons saisis sur le terrain au Maroc servent de base à une analyse aussi poussée.

Cette recherche s’inscrit dans un contexte national en recomposition depuis l’adoption de la loi 13-21 en juin 2021, qui encadre l’usage médical et industriel du cannabis. Au-delà des débats économiques et sociaux, la question de la qualité, de la traçabilité et des normes de conservation devient centrale pour la future filière légale. L’étude montre, preuves à l’appui, que la durée et les conditions de stockage ne sont pas des paramètres secondaires : elles transforment la « signature » chimique du produit et, avec elle, ses effets et sa valeur potentielle.

Sur le plan méthodologique, les auteurs ont analysé 150 échantillons de hachisch saisis dans différentes zones du Rif entre 2015 et les années suivantes. Ils ont recouru à la chromatographie en phase gazeuse avec détection par ionisation de flamme (GC/FID), puis à des traitements statistiques avancés : analyse en composantes principales (PCA) et régressions multiples. Les lots ont été classés en cinq groupes selon l’ancienneté (0, 2, 4, 6 et 8 ans), permettant de tracer une véritable chronologie chimique.

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La tendance est sans équivoque : le temps de stockage est le facteur déterminant de l’évolution des cannabinoïdes, bien davantage que la durée d’extraction. Une résine « fraîche » présente environ 37,9 % de matière résineuse, avec un THC supérieur à 35 %, indicateur d’une puissance élevée. Après deux ans seulement, le THC s’effondre à 2,7 %, tandis que le CBN atteint 6,9 % et le CBD progresse. Ces bascules tiennent aux réactions d’oxydation et de dégradation qui, avec l’humidité et la chaleur, reconfigurent la composition.

Temps de stockage : Une variable clé

Ces résultats bousculent certaines représentations. Dans les régions de production, la conservation dans des sacs plastiques ou boîtes en carton, souvent dans des locaux chauds et humides, accélère ces transformations. Le produit arrivé sur les marchés marocains ou européens peut donc s’éloigner sensiblement de l’empreinte chimique attendue d’une résine récente. Pour la filière médicale en construction, cela implique d’établir des standards de stockage précis afin de garantir constance, sécurité et traçabilité.

L’apport ne se limite pas au sanitaire. Les chercheurs ont élaboré des équations prédictives capables d’estimer les teneurs en THC, CBD et CBN en fonction des années de stockage, et, inversement, de déduire l’« âge » d’un échantillon à partir de sa composition actuelle. Cet outil ouvre des perspectives opérationnelles pour la police judiciaire et les tribunaux : dater une marchandise saisie, différencier une production récente d’un lot ancien recyclé et mieux cartographier les filières de trafic.

Sur le terrain économique, la montée du CBD et du CBN dans les résines anciennes suggère des voies de valorisation en pharmacologie (analgésie, anti-inflammatoire, troubles du sommeil), à condition d’un encadrement rigoureux. Considérer systématiquement le hachisch stocké comme « dégradé » revient à ignorer un potentiel exploitable dans des chaînes légales et contrôlées.

Enfin, les performances des modèles statistiques, avec des précisions allant de 0,98 à 0,999 pour certaines régressions cubiques, témoignent d’une maîtrise technique notable et d’un dialogue fructueux entre université et service spécialisé. Les auteurs soulignent toutefois l’apparition, dans les échantillons les plus anciens, de pics chromatographiques correspondant à des molécules encore non identifiées. Des analyses complémentaires, notamment par GC-MS, seront nécessaires pour caractériser ces composés et leurs éventuels effets. Une certitude émerge : le « temps de stockage » devient un paramètre stratégique pour la science, la justice et l’économie d’une filière légale en devenir.

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