Le Maroc choisit la régularisation au lieu de la répression
Adopté par le Conseil de gouvernement, le projet de loi modifiant le Code de commerce marque une rupture profonde dans la manière de traiter les chèques sans provision au Royaume. Jusqu’à présent, tout incident de paiement entraînait automatiquement une procédure judiciaire, accompagnée d’une amende équivalente à 25 % du montant du chèque, et pouvant aller jusqu’à une peine d’emprisonnement.
Désormais, la philosophie change : la régularisation prend le pas sur la répression. Le débiteur aura la possibilité d’éteindre les poursuites en s’acquittant du montant dû, assorti d’une amende réduite à 2 %. Cette orientation traduit une volonté claire : rendre la justice commerciale plus équitable, plus fluide et davantage adaptée à la réalité économique du pays.
Selon les données officielles de Bank Al-Maghrib, près de 30 millions de chèques ont été émis au Maroc en 2024, pour un montant global de 1.319 milliards de dirhams. Cependant, 972 000 chèques ont été rejetés pour absence ou insuffisance de provision. Entre 2022 et mi-2025, ces incidents ont généré plus de 180 000 plaintes et 58 000 détentions. Ces chiffres révèlent l’ampleur d’un phénomène à la fois économique, social et judiciaire, affectant directement la trésorerie de milliers de petites entreprises et la vie quotidienne de nombreux citoyens.
Le nouveau texte propose un dispositif de conciliation étendu à toutes les phases de la procédure, y compris après une condamnation définitive. Le parquet pourra désormais accorder un délai de 30 jours, renouvelable une fois avec l’accord du bénéficiaire, pour régulariser la situation. Dans le même esprit, la peine d’emprisonnement pourra être remplacée par un contrôle judiciaire, et les différends d’ordre familial (entre conjoints, ascendants ou descendants) seront désormais exclus des poursuites pénales.
L’objectif est double : désengorger les tribunaux, saturés par les affaires de chèques impayés, et réduire les détentions pour dettes civiles, l’héritage d’un système jugé trop répressif et inadapté aux enjeux économiques contemporains.
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Pour de nombreux acteurs économiques, cette réforme représente une bouffée d’air. Les établissements bancaires, eux, y voient un outil de stabilisation du climat financier. La régularisation à l’amiable devrait en effet réduire les contentieux, améliorer la transparence et renforcer la traçabilité des flux financiers. Elle s’inscrit dans une logique d’assainissement des pratiques commerciales, en harmonie avec la stratégie nationale de modernisation du droit des affaires.
Toutefois, certains observateurs appellent à la prudence. Ils redoutent que la dépénalisation du chèque n’entraîne un affaiblissement de son pouvoir dissuasif. Un chef d’entreprise du secteur du BTP avertit que le risque est que certains opérateurs en abusent, sachant qu’ils pourront régulariser ultérieurement sans sanction lourde. Ce risque d’un relâchement de la discipline financière pourrait également inciter certains acteurs à privilégier les paiements en espèces, au détriment de la traçabilité et de la transparence économique que le Maroc cherche à consolider.
Former, digitaliser et coordonner : Les leviers d’une réforme efficace
Sur le plan juridique, la réussite de cette réforme dépendra de la capacité du système judiciaire à s’adapter à ce nouveau cadre. Pour qu’elle soit pleinement efficace, il faudra que les procédures civiles de recouvrement deviennent plus rapides, moins coûteuses et plus accessibles, notamment pour les petites structures.
Un avocat d’affaires casablancais explique que la dépénalisation n’aura de véritable sens que si la justice commerciale devient opérationnelle et efficiente. Sinon, on risque simplement de déplacer le problème sans le résoudre. L’efficacité de la réforme passera donc par la formation des magistrats, la modernisation des outils numériques et une meilleure coordination entre le secteur bancaire et les instances judiciaires.
Au-delà de son aspect technique, cette réforme traduit un changement culturel profond. Elle consacre une vision plus pragmatique et humaine du droit commercial, fondée sur la médiation, la prévention et la responsabilisation. Elle rompt avec une logique punitive pour privilégier une approche fondée sur la confiance et la coopération entre débiteurs, créanciers et institutions.
En plaçant la régularisation au cœur du dispositif, le Maroc envoie un message clair : il s’agit d’un pays qui mise sur la transparence, la confiance et la modernité juridique pour consolider son attractivité économique et son image de stabilité.