Les PME face à un mur structurel ?
Pilier numérique du tissu économique, les petites et moyennes entreprises restent freinées par des obstacles persistants notamment l’accès au financement, une fiscalité lourde et une vulnérabilité aux chocs macroéconomiques.
Elles représentent plus de 99 % du tissu entrepreneurial du pays, emploient près des trois quarts de la main-d’œuvre du secteur privé et sont à l’origine de la majorité des créations d’entreprises chaque année. Pourtant, les petites et moyennes entreprises marocaines ne pèsent qu’un cinquième du produit intérieur brut et à peine 30 % des exportations. Ce paradoxe illustre la fragilité d’un segment central mais structurellement contraint.
En 2023, près de 69 000 entreprises ont vu le jour, majoritairement des Très petites entreprises (TPE). En 2024, les créations ont franchi la barre des 86 000 unités à fin novembre, selon l’Office Marocain de la Propriété Industrielle et Commerciale (OMPIC). Une vitalité qui masque une autre réalité : quatre jeunes entreprises sur cinq cessent leur activité avant cinq ans. L’Observatoire de la TPME recense plus de 10 000 faillites en 2023, un record, auxquelles s’ajoutent plus de 20 000 cessations d’activité d’entrepreneurs individuels.
La répartition sectorielle demeure dominée par le commerce et les services, suivis du BTP et, plus loin, de l’industrie manufacturière. L’agriculture formelle reste marginale dans ce paysage. Mais l’essentiel de la valeur ajoutée est capté par un nombre réduit de grandes entreprises, concentrées dans les secteurs stratégiques.
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Banques frileuses, garanties hors de portée, capital-investissement embryonnaire : l’accès au financement reste le talon d’Achille des PME marocaines. À peine un tiers des entreprises actives bénéficient d’un crédit bancaire. L’État a bien tenté de desserrer l’étau avec les programmes Intelaka et Forsa, qui ont permis à plusieurs dizaines de milliers de porteurs de projets d’obtenir un financement bonifié ou un prêt d’honneur. Mais l’impact demeure insuffisant à l’échelle nationale.
La hausse du taux directeur de Bank Al-Maghrib à 3 % fin 2023, destinée à contenir une inflation avoisinant les 10 % en glissement annuel début 2023, a renchéri encore le coût du crédit. Les PME, aux marges déjà comprimées par la hausse des intrants, se retrouvent en première ligne.
La suppression du taux réduit d’IS à 10 % a porté un coup supplémentaire aux petites structures, désormais soumises à un minimum de 20 %. Les lourdeurs administratives, la lenteur des procédures judiciaires et l’application incomplète des lois censées protéger les PME – comme la préférence nationale dans les marchés publics – aggravent leur sentiment d’injustice.
Sur le marché domestique, la compétition est inégale face aux grands groupes. À l’export, la part des PME reste limitée, à peine 30 % des ventes extérieures. Les obstacles vont de l’absence de réseaux de distribution à l’international aux normes de qualité coûteuses à respecter.
Déficit de compétences
La digitalisation, qui pourrait être un levier de compétitivité, progresse trop lentement. Nombre de PME n’ont ni site internet ni outils de gestion modernes. Le coût des technologies et le manque de compétences freinent la transition numérique.
Le capital humain, plus largement, reste un point faible. Les PME peinent à attirer les profils qualifiés et investissent peu dans la formation. Faute de montée en compétence, leur productivité stagne.
La multiplication des cessations d’activité en 2023 et 2024 illustre la vulnérabilité du segment. L’inflation, les délais de paiement prolongés, la fiscalité accrue et l’accès restreint aux financements convergent pour fragiliser un pilier de l’économie.
Malgré les annonces répétées de réformes et de programmes de soutien, les PME marocaines demeurent sur la ligne de crête. Leur survie, et plus encore leur montée en gamme, dépendront de la capacité de l’État à faire respecter ses propres lois, diversifier les instruments financiers et accompagner la transition numérique et humaine. Faute de quoi, le paradoxe persistera : une majorité écrasante d’entreprises… pour une minorité de valeur créée.