Diplomatie sportive : quand le ballon rond devient une arme d’influence
À l’heure où le Royaume s’apprête à accueillir la CAN 2025 et à co-organiser la Coupe du monde 2030, il mise sur le sport pour renforcer son rayonnement diplomatique, affirmer ses positions stratégiques et construire des alliances durables sur la scène africaine et internationale. Voici comment.
Lorsque le Maroc s’est vu confier l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations 2025 et la co-organisation de la Coupe du monde 2030 aux côtés de l’Espagne et du Portugal, ce choix a résonné bien au-delà des terrains de football. Cette consécration est l’aboutissement d’une stratégie patiemment construite, celle de faire du sport, et plus particulièrement du football, un outil de rayonnement et un levier de puissance douce pour servir une vision plus large – diplomatique, économique, géopolitique et identitaire. Le Maroc ne s’est pas contenté de candidatures symboliques.
Depuis plus de quinze ans, il a investi lourdement pour répondre aux standards CAF et FIFA. Modernisation de stades existants (Tanger, Rabat, Casablanca, Marrakech…) et construction de nouvelles enceintes, dont le futur stade de Benslimane, qui ambitionne de devenir le plus grand du monde avec 115.000 places en sont des exemples parmi d’autres.
Le Complexe Mohammed VI de Maâmora est une autre vitrine. Centre de formation, hébergement haut de gamme, centre médical de pointe… C’est une carte maîtresse pour séduire les fédérations africaines et européennes à la recherche de lieux de stage et de préparation.
Au-delà du béton et de la pelouse, le Maroc a su bâtir un écosystème avec accords de coopération, soutien logistique, simplification des formalités, proximité avec l’Europe (trois heures de vol) et climat tempéré. C’est un cocktail que peu de pays africains peuvent offrir à grande échelle.
Cette capacité d’accueil est devenue une source de revenus indirects pour l’hôtellerie, le tourisme et les secteurs connexes, mais surtout un capital diplomatique. Chaque équipe hébergée, chaque stage organisé devient une opportunité de renforcer une alliance ou de gagner un soutien sur un autre dossier.
Depuis son retour à l’Union africaine en 2017, le Maroc a multiplié les partenariats Sud-Sud. Les accords de la Fédération royale marocaine de football (FRMF) avec plus de 45 fédérations africaines sont l’une des déclinaisons les plus visibles de cette orientation. La stratégie est claire, celle d’ancrer le Royaume comme leader africain, pivot entre l’Afrique, l’Europe et le monde arabe. En retour, ces partenariats se traduisent en soutiens politiques, comme on l’a vu lors du vote de la candidature marocaine pour la CAN ou du Mondial.
Le sport n’est pas neutre. Il est aussi un moyen d’affirmer des lignes rouges, à commencer par la question du Sahara marocain. En organisant des événements internationaux dans les provinces du Sud, le Royaume envoie un message clair. Ces territoires font partie intégrante du Maroc. Le soft power sportif devient donc un prolongement de la diplomatie classique et un outil de plaidoyer dans les instances régionales et internationales.
Le rôle de figures comme Fouzi Lekjaa est central. Vice-président de la CAF, membre du Conseil exécutif de la FIFA, il incarne la capacité du Maroc à peser dans les décisions stratégiques. Cette présence renforce l’influence marocaine lors de votes clés (attribution de compétitions, réformes de la CAF), mais elle crédibilise aussi le Royaume comme interlocuteur de confiance pour les bailleurs de fonds, sponsors et partenaires commerciaux.
Une stratégie qui dépasse le football
Le Maroc gagnerait à élargir le spectre. Le basket-ball est le deuxième sport le plus populaire dans une trentaine de pays africains, loin devant le handball ou le rugby. L’Afrique du Sud, la Namibie, le Zimbabwe ou l’Ouganda restent peu touchés par l’influence footballistique marocaine, faute de passerelles sur d’autres disciplines.
Le développement de fédérations multisports dynamiques, de ligues féminines attractives et de compétitions continentales alternatives pourrait élargir la base de ce soft power. Le sport féminin représente une marge de progression majeure. Même si le Maroc a accueilli la CAN féminine en 2022 et celle de 2024, qui s’est jouée ce mois de juillet, l’enjeu est de structurer une filière solide : stades, centres d’entraînement, ligues professionnelles, formations pour entraîneures et arbitres, promotion médiatique.
En Afrique, où le sport féminin devient un levier d’inclusion et de coopération, cela pourrait donner un nouveau visage à la diplomatie sportive marocaine. Le chemin parcouru est néanmoins admirable. Organiser la CAN, un Mondial ou une grande finale, c’est prouver au monde que le pays est sûr, stable et attractif pour l’investissement. Chaque événement est une opportunité de signer des contrats, d’attirer des touristes et de faire travailler des milliers de Marocains.
En co-organisant le Mondial 2030 avec l’Espagne et le Portugal, le Maroc consolide également un axe stratégique Nord-Sud, alors que l’Union européenne débat de partenariats migratoires, énergétiques et commerciaux. Le ballon rond devient un prétexte pour s’asseoir autour de la table, discuter de sujets autrement plus sensibles et faire avancer des dossiers de coopération transversale.
Le Maroc a prouvé sa capacité à rivaliser avec de grandes puissances sportives. Sa candidature pour le Mondial 2026, perdue face au trio États-Unis-Canada-Mexique, l’a rendu crédible. Sa capacité à rebondir pour 2030, puis peut-être pour d’autres projets, comme l’accueil des Jeux Olympiques, démontre que sa diplomatie sportive ne s’arrêtera pas là. La vraie question sera de transformer cette dynamique en alliances durables, en investissements structurants pour les régions, en politiques publiques inclusives pour les jeunes et les femmes, et en consolidant l’image d’un Royaume moderne et ouvert.
En résumé, la diplomatie sportive marocaine est l’un des volets les plus visibles du soft power national. Elle s’appuie sur une vision long terme, une exécution pragmatique et un capital sympathie alimenté par des succès mémorables. Mais pour continuer à progresser, elle doit sortir du tout-football, professionnaliser ses relais, capitaliser sur ses figures clés et ouvrir le terrain à de nouvelles disciplines et publics.
Dans un continent où la jeunesse est majoritaire, où le sport est une passion collective et un ascenseur social, cette carte est sans doute l’une des plus puissantes qu’un État puisse jouer au XXIe siècle.
Ilyas Bellarbi / Les Inspirations ÉCO