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le Code de procédure pénale adopté dans une ambiance électrique

C’est au terme d’une journée marathon, rythmée par des échanges souvent rugueux et des passes d’armes à peine voilées, que la commission de la justice, de la législation, des droits de l’homme et des libertés à la Chambre des représentants a fini par adopter, mardi soir, à la majorité, l’ensemble du projet de loi n°03.23 relatif au Code de procédure pénale. Une adoption obtenue après plus de treize heures d’intenses discussions, sous l’œil attentif du ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, dont la posture ferme mais conciliante a souvent dû contenir l’irritation des députés.

Le texte a été validé par 18 voix contre 7, aucune abstention n’étant enregistrée. Mais ce score lisse à peine la réalité d’une confrontation politique d’une rare intensité. Jamais, dans l’histoire législative récente, une commission parlementaire n’avait été saisie d’un tel déluge d’amendements : 1 384 propositions en tout, signe tangible de la charge politique et sociétale que porte ce texte.

En première ligne, les groupes d’opposition ont fait entendre leur voix. Le groupe Justice et développement a dégainé 435 amendements, suivi par les socialistes de l’opposition ittihadie (308), le groupe haraki (186) et celui du progrès et du socialisme (167). Les groupes de la majorité gouvernementale ont, quant à eux, avancé 155 propositions, une posture que l’opposition n’a pas manqué de railler, dénonçant un manque d’implication sur des enjeux jugés déterminants pour les libertés publiques.

Signe de la mobilisation généralisée, plusieurs députées non inscrites ont elles aussi multiplié les propositions, à l’image de Fatima Tamni (55), Chafika Lachraf (42), Nabila Mounib (24) ou encore Rim Chabat (12), contribuant à faire de cette session l’une des plus chargées que le Parlement ait connues.

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Derrière l’avalanche d’amendements, de véritables lignes de fracture se sont dessinées. La place laissée aux associations civiles pour dénoncer les crimes de corruption, les conditions de la garde à vue, ou encore la gestion linguistique des commissions rogatoires internationales ont été autant de points de friction qui ont électrisé les débats.

Mais c’est sans doute la question des immunités parlementaires qui a cristallisé les tensions les plus vives. Plusieurs élus, toutes tendances confondues, se sont montrés fébriles face à ce qu’ils considèrent comme une remise en cause de leurs prérogatives constitutionnelles, dénonçant une « tentative rampante de judiciarisation du politique ». Des accusations que le ministre Ouahbi a balayées, affirmant au contraire que le texte visait à restaurer la crédibilité de l’action publique et à renforcer la confiance des citoyens dans la justice.

Une architecture repensée pour un procès équitable

Pour ses défenseurs, le projet de loi représente une avancée décisive. À travers la refonte des instruments procéduraux, il vise à moderniser l’enquête et la poursuite tout en alignant les pratiques judiciaires avec les standards constitutionnels et internationaux du procès équitable. Le président de la commission, Saïd Baaziz, n’a pas hésité à parler d’« un tournant majeur » dans la consolidation de l’État de droit, saluant « l’équilibre trouvé entre les exigences de l’efficacité judiciaire et les garanties des droits de la défense ».

Dans une déclaration à la presse, le ministre de la Justice a souligné que plus de 200 amendements avaient été retenus, témoignant d’un « effort collectif » qui, malgré les divergences, aurait permis de dégager une « vision partagée » en vue des prochaines étapes. Le texte est désormais attendu à la Chambre des conseillers pour une seconde lecture, avant son adoption définitive.

Au-delà des passes d’armes parlementaires, le texte, une fois promulgué, est appelé à transformer en profondeur la pratique judiciaire marocaine. De la garde à vue à la gestion des preuves, en passant par les droits de la défense et le rôle de la société civile dans la lutte contre la corruption, il redessine les contours de l’action pénale.

Mais l’adoption du Code de procédure pénale n’est qu’une étape. Déjà, le ministre Ouahbi annonce l’ouverture imminente du chantier du Code de procédure civile, promettant une nouvelle séquence parlementaire tout aussi disputée. Car derrière la technicité des articles se joue, à chaque session, une bataille politique de fond : celle de la définition des équilibres entre l’État, les citoyens et leurs représentants.

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