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Eau : la réponse du Maroc à un enjeu global

Dans un monde où la rareté de l’eau devient un facteur de tensions et de vulnérabilités, le Maroc trace sa voie avec une politique hydrique ambitieuse, mêlant grands barrages, dessalement massif, réutilisation des eaux usées, interconnexions régionales et gouvernance rénovée. Ce chantier national, piloté au plus haut sommet de l’État, dessine les contours d’une souveraineté hydrique qui fait du Royaume un exemple à suivre face au stress climatique.

Dès son indépendance, le Maroc a fait du stockage de l’eau une priorité. La construction de barrages a façonné l’aménagement du territoire. Actuellement, le pays compte 154 grands barrages, pour une capacité théorique de près de 20 milliards de m³. Mais l’érosion, l’envasement et le vieillissement des infrastructures ont révélé les limites de ce modèle historique.

Face à ce constat, le Royaume accélère Le Programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020-2027 (PNAEPI) et prévoit la construction de 20 nouveaux barrages, qui porteront la capacité de stockage à 27,3 milliards de m³.

Ces nouveaux ouvrages, comme le barrage Ratba (près d’un milliard de m³ de capacité), modernisent le réseau, sécurisent l’approvisionnement pour les zones rurales et renforcent la capacité de résistance face aux sécheresses à répétition. Le chantier de Ratba, par exemple, avance à un rythme soutenu et devrait être livré un an plus tôt que prévu, fin 2028, pour un coût estimé à 4,5 milliards de dirhams.

Dessalement : un virage stratégique assumé
Autre pilier de cette politique, le dessalement de l’eau de mer, jadis marginal, devient désormais une planche de salut. La pression des sécheresses prolongées a conduit à multiplier les stations de dessalement. Résultat,16 unités sont aujourd’hui opérationnelles, notamment dans les provinces du Sud comme Laâyoune et Dakhla, zones arides où cette technologie assure l’essentiel de l’eau potable. Mais l’enjeu est national.

À Casablanca, l’agglomération la plus peuplée, la plus grande station de dessalement d’Afrique est lancée, avec une capacité annuelle de 300 millions de m³, dont 50 millions réservés à l’irrigation agricole. Globalement, le Maroc ambitionne de multiplier par huit sa production d’eau dessalée, pour atteindre 2,3 milliards de m³ en 2040. À l’horizon 2030, la moitié de l’eau potable consommée sur les littoraux devrait provenir du dessalement. Cette solution est coûteuse. Elle mobilise d’importantes ressources énergétiques.

Pour en réduire l’empreinte carbone, le Maroc mise sur l’intégration des énergies renouvelables dans le fonctionnement de ses usines, s’inscrivant dans sa stratégie globale de transition énergétique. Le modèle de financement repose de plus en plus sur des Partenariats public-privé (PPP), gage de mutualisation des risques et d’efficacité dans la réalisation. Au-delà du dessalement, la réutilisation des eaux usées traitées apparaît comme un levier prometteur. Longtemps négligée, cette ressource pourrait couvrir jusqu’à 86% des besoins d’irrigation.

Aujourd’hui, moins de 5% des eaux usées sont effectivement recyclées. Les premières initiatives à Rabat et Tanger prouvent pourtant leur efficacité : ces villes ont transformé leurs espaces verts et stabilisé une partie de leur approvisionnement agricole grâce à la réutilisation. Mais un défi reste entier : le coût de traitement, évalué à environ 2,2 dollars par m³, constitue un frein pour de nombreuses communes.

La solidarité territoriale à l’épreuve
Pour combler le fossé entre régions excédentaires et déficitaires, le Maroc développe également un maillage inédit d’interconnexions hydrauliques. Le principe est simple. Il s’agit de créer de véritables «autoroutes de l’eau» pour redistribuer l’excédent des bassins bien alimentés (Sebou, Loukkos) vers les zones sous stress hydrique (Bouregreg, Oum Er-Rbia). La première concrétisation de cette vision est la liaison Sebou-Bouregreg. Mise en service en août 2023, elle a transféré plus de 600 millions de m³ vers l’axe Rabat-Casablanca, évitant une crise de l’eau majeure dans la capitale économique.

À terme, ce projet ambitieux prévoit de connecter les bassins du Loukkos, Sebou, Bouregreg et Oum Er-Rbia, pour un transfert annuel de 1,2 milliard de m³. Ce réseau sera complété par d’autres projets structurants, comme la connexion Oued El Makhazine–Dar Khrofa pour sécuriser l’approvisionnement de Tanger.

Ces infrastructures représentent non seulement un outil d’équité territoriale mais aussi un moyen de minimiser les pertes. Chaque année, des millions de m³ se déversent encore inutilement dans l’Atlantique. Si les infrastructures se multiplient, la gouvernance reste un chantier ouvert. La modernisation passe par une meilleure intégration entre gestion technique, financement et implication citoyenne. La dimension réglementaire est aussi un facteur clé. L’eau doit demeurer un bien public, dont l’accès reste équitable, malgré l’ouverture à la logique de marché pour le dessalement et la réutilisation.

Chaque projet traduit une volonté royale de planifier à long terme et de renforcer la résilience nationale. Et le pays démontre qu’une approche multi-facettes, alliée à une planification étatique forte et à des partenariats dynamiques, peut offrir des réponses concrètes à une crise mondiale. Dans un continent africain où l’accès à l’eau potable reste un défi structurel, le modèle marocain fait école. Au-delà de ses frontières, il montre qu’anticiper, diversifier et partager l’eau sont devenus des leviers géopolitiques de stabilité, d’équité et de développement.

Ilyas Bellarbi / Les Inspirations ÉCO

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