« 500 000 smartphones échappent chaque année aux circuits douaniers au Maroc »
Le manque à gagner lié à ce commerce illégal est estimé à 2 milliards de dirhams. Alimenté majoritairement par l’Europe, ce flux parallèle fragilise les commerçants, accroît les risques de cybersécurité et alourdit la charge environnementale liée aux déchets électroniques.
Le Royaume s’impose désormais comme une destination privilégiée pour des appareils usagés ou reconditionnés introduits hors des contrôles. Arrivés par vagues depuis des ports européens, ces téléphones empruntent des routes informelles, se fragmentent en lots, puis se dissipent dans des réseaux de vente au détail et en ligne difficiles à tracer. La proposition de valeur paraît irrésistible pour une partie des consommateurs, avec des prix cassés, une variété de modèles récents et la promesse d’un bon plan immédiat.
La structure de l’offre illégale en dit long sur la nature du risque. D’après Eurosec, 75 % des unités seraient d’occasion, 20 % hors d’usage et seulement 5 % réellement réparées ou recyclées avant revente. Concrètement, une majorité d’appareils circulent sans garanties, sans traçabilité des composants, avec des batteries fatiguées et des systèmes non mis à jour. L’avantage prix s’obtient en contournant la TVA, les droits de douane, le contrôle qualité, les obligations de garantie et le service après-vente, autant de coûts assumés par les importateurs légaux qui deviennent moins compétitifs.
Coût fiscal élevé et marché formel sous pression
L’impact économique et fiscal est tangible. Les pertes pour le Trésor sont estimées à 2 milliards de dirhams par an, un manque à gagner qui comprime les ressources allouables à l’éducation, à la santé ou à l’infrastructure numérique. Certaines estimations portent même le flux total jusqu’à 800 000 unités par an, ce qui alourdirait la facture d’environ 300 millions de dirhams supplémentaires. Pour les distributeurs en règle, l’effet d’éviction s’installe, avec des rotations de stocks ralenties, des marges comprimées, une incertitude sur l’anticipation des ventes et un découragement face à la prime accordée de facto à l’informel.
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Le volet cybersécurité est tout aussi préoccupant. Des appareils contournant les normes peuvent embarquer des firmwares modifiés, des applications préinstallées et des systèmes non corrigés, ce qui augmente le risque d’intrusions, de vols de données et d’espionnage industriel. Pour les entreprises, l’usage de terminaux non certifiés fragilise la politique de sécurité et complique la conformité.
S’y ajoute une charge environnementale croissante. L’afflux d’appareils d’occasion ou hors d’usage génère un volume élevé de déchets électroniques. Les métaux rares et plastiques non traités dégradent les sols et menacent la santé des populations exposées.
Traçabilité, labels et incitations : la feuille de route contre l’informel
D’après les experts, une approche globale s’impose. Elle passe par une régulation claire du marché de l’occasion et du reconditionné, avec des labels de qualité, des obligations de diagnostic sur la batterie et l’écran, une garantie minimale et un certificat d’effacement des données. Elle requiert aussi des incitations à l’achat légal, qu’il s’agisse de facilités de paiement, de mécanismes de reprise des anciens appareils ou d’un traitement fiscal adapté au reconditionné certifié, afin de rapprocher l’offre officielle du pouvoir d’achat réel.
La coopération douanière avec les ports européens sources, le renforcement de la traçabilité via l’IMEI, des contrôles ciblés sur les points de vente et un travail coordonné avec les plateformes pour déréférencer les annonces illégales peuvent réduire l’opacité du marché. Des campagnes de sensibilisation doivent éclairer le public sur les risques pour les données, les performances et l’environnement.