Economie

Méga-accord de 3 milliards de dollars sur l’aluminium vert entre Rabat et Pékin

Le Maroc et la Chine ont franchi une étape décisive dans leur coopération industrielle avec la signature d’un protocole d’entente pour le développement d’un complexe intégré d’aluminium bas carbone, d’un montant estimé à 3 milliards de dollars. L’accord, conclu à Pékin entre le fonds souverain marocain Ithmar Capital et plusieurs groupes publics chinois, illustre l’ambition du Royaume de s’imposer comme un acteur majeur des industries lourdes décarbonées, tout en répondant aux nouvelles contraintes environnementales des marchés mondiaux.

Fruit de négociations menées depuis 2022, l’accord associe côté marocain Ithmar Capital et une société nationale spécialisée dans l’aluminium, dont l’identité n’a pas encore été révélée. Les partenaires chinois rassemblent des poids lourds du secteur énergétique, tels que State Grid et Shanghai Electric Power, qui ont officialisé leur engagement lors d’une cérémonie au siège de State Grid International à Pékin. Selon Africa Intelligence, le groupe privé Fanghao aurait joué un rôle d’intermédiaire clé dans la conclusion de l’opération, aux côtés de la State Power Investment Corporation (SPIC), déjà active en Afrique de l’Ouest. SPIC a annoncé début 2025 la construction d’une raffinerie d’alumine en Guinée, capable de produire 1,2 million de tonnes par an, ce qui pourrait garantir l’approvisionnement en matière première du projet marocain.

Au-delà de son envergure financière, ce projet s’inscrit dans la volonté du Maroc de diversifier sa base industrielle et de monter en gamme. « Le Royaume entend se positionner sur les segments à forte valeur ajoutée, en tirant parti de ses atouts en énergies renouvelables », résume un observateur cité par la presse L’aluminium vert produit localement viserait prioritairement les marchés européens et asiatiques, où la demande de matériaux décarbonés croît dans l’automobile, l’aéronautique ou la construction.

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L’Europe, qui mettra en œuvre dès 2026 le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM), constitue une cible stratégique. L’aluminium bas carbone marocain pourrait non seulement éviter ces surtaxes, mais aussi gagner des parts de marché face aux producteurs asiatiques alimentés par du charbon.

La dimension « verte » du projet repose sur la construction d’infrastructures renouvelables dédiées – fermes solaires, parcs éoliens et potentiellement unités d’hydrogène vert – destinées à alimenter une fonderie de grande capacité en électricité décarbonée. La présence de State Grid suggère que des investissements importants seront également réalisés dans le renforcement du réseau marocain pour garantir la stabilité de l’approvisionnement.

Côté métallurgie, la future usine exploitera le procédé Hall-Héroult d’électrolyse de l’alumine, mais avec une énergie propre. Des technologies de pointe, telles que les anodes inertes ou le recyclage avancé de l’aluminium, pourraient être intégrées dans un second temps afin de réduire encore l’empreinte écologique.

La localisation du complexe, probablement à proximité d’un port en eau profonde comme Tanger Med, Nador West Med ou Jorf Lasfar, facilitera l’importation d’alumine et l’exportation de lingots finis.

Une coopération sino-marocaine à forte portée géopolitique

Sur le plan diplomatique, l’accord renforce la place du Maroc dans les nouvelles Routes de la soie promues par Pékin. Pour la Chine, Rabat offre un point d’ancrage stable aux portes de l’Europe et un partenaire aligné sur la transition énergétique mondiale. Pour le Maroc, cette alliance consolide sa position de hub régional des industries décarbonées, en contraste avec l’Algérie voisine qui reste centrée sur les hydrocarbures.

La dimension commerciale n’est pas neutre : l’émergence d’une filière marocaine d’aluminium vert, soutenue par la Chine, pourrait rebattre les cartes d’un marché dominé jusqu’ici par des acteurs européens et asiatiques. Les États-Unis, partenaires traditionnels de Rabat, observent avec attention cette percée chinoise dans un secteur stratégique, à l’interface des chaînes de valeur industrielles et énergétiques mondiales.

Cependant, certaines ONG environnementales appellent à la vigilance sur l’ensemble du cycle de vie de l’aluminium, notamment l’extraction de la bauxite et la gestion des résidus toxiques (« boue rouge »). Les promoteurs du projet assurent que le recyclage et l’utilisation des meilleures technologies disponibles feront partie de la feuille de route.

Si les détails définitifs – capacités, calendrier et engagements de production – doivent encore être précisés, les partenaires visent une mise en œuvre rapide. Selon Africa Intelligence, les représentants chinois de Fanghao sont attendus au Maroc d’ici 2026 pour finaliser la convention d’investissement.

En s’associant à Pékin pour lancer ce complexe, Rabat ambitionne de transformer une contrainte – la décarbonation imposée par les nouvelles normes – en opportunité industrielle et géopolitique. Le pari est audacieux : il pourrait faire du Maroc l’un des premiers pays africains à intégrer une filière aluminium bas carbone de rang mondial, capable de rivaliser sur les marchés européens et asiatiques.

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