Entre moteur de croissance et fuite massive de devises
Les investissements directs étrangers au Maroc, sources d’emplois et d’innovation, s’accompagnent de sorties massives de devises sous forme de dividendes, redevances et frais divers. Si ces flux traduisent l’attractivité du Royaume, ils soulèvent aussi un défi majeur de stabilité financière, incitant les experts à plaider pour une régulation plus stricte et une meilleure coordination.
Les investissements directs étrangers (IDE), souvent présentés comme un moteur stratégique de croissance et de structuration de l’économie nationale, apportent au Royaume capitaux, technologies et emplois qualifiés. Ils constituent un levier essentiel pour renforcer l’attractivité du pays et son intégration dans les chaînes de valeur mondiales. Toutefois, les spécialistes estiment que derrière ces chiffres séduisants se cache une réalité moins visible : un flux constant de devises sortant du pays, alimenté par les dividendes, redevances, droits de licence et autres frais, qui pèse sur la balance des paiements et sur la résilience financière du Royaume.
Les IDE sont essentiels pour moderniser l’industrie et dynamiser les services. Ils permettent non seulement l’acquisition de technologies de pointe, mais aussi le transfert de compétences, le développement de réseaux logistiques et la création d’emplois qualifiés dans des secteurs stratégiques tels que l’automobile, l’aéronautique, le tourisme et les télécommunications. Cependant, ces apports sont accompagnés de coûts financiers significatifs, qui nécessitent une gestion prudente et une supervision rigoureuse.
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Selon l’Office des changes, les dividendes représentent la principale source de sorties de devises. En 2024, ils ont atteint 17,5 milliards de dirhams, contre 14,6 milliards en 2023. Les plus gros émetteurs sont les multinationales installées dans les zones d’accélération industrielle, les chaînes hôtelières internationales et les opérateurs télécoms. Ces flux réguliers traduisent la contrepartie financière inévitable des IDE : si les capitaux apportent croissance et emplois, ils génèrent aussi un transfert continu de bénéfices vers l’étranger.
Mais le coût des IDE ne se limite pas aux dividendes. L’ensemble des dépenses liées à la rémunération des investissements étrangers, incluant droits de licence, brevets, redevances marketing, frais de siège, développement de produits, systèmes d’information et assistance technique, a représenté 25,95 milliards de dirhams en 2024. L’assistance technique, en particulier, constitue une rubrique sensible. Elle combine prestations réelles mais aussi transferts de bénéfices déguisés vers les maisons-mères, justifiant une surveillance accrue de l’administration fiscale et de l’Office des changes.
Le trio France–Émirats–Espagne domine les flux d’IDE
Le stock d’IDE au Maroc montre également une concentration géographique et sectorielle forte. La France reste le premier investisseur avec 137,7 milliards de dirhams (28 % du total), suivie par les Émirats arabes unis (95,8 milliards) et l’Espagne (44,7 milliards, 9 %), selon l’Office des changes. À elles trois, ces puissances concentrent plus de la moitié des investissements étrangers au Maroc, illustrant la dépendance du Royaume à un nombre limité d’investisseurs stratégiques. Cette concentration peut représenter un atout, en termes de stabilité et de partenariats solides, mais elle crée aussi une vulnérabilité face à des décisions économiques prises à l’étranger.
Les frais d’assistance technique cristallisent particulièrement les tensions. Souvent considérés comme un « fourre-tout » par l’administration, ils font l’objet d’un contrôle renforcé depuis 2017. La Direction générale des impôts (DGI) et l’Office des changes coordonnent désormais leurs interventions : un rejet de déductibilité par la DGI peut entraîner un redressement parallèle par l’Office des changes, assorti de pénalités. Une double sanction jugée contre-productive par certains fiscalistes, mais qui reste un outil de dissuasion contre les pratiques abusives et les transferts illégitimes de fonds.
Au-delà de l’aspect financier, les IDE génèrent un impact macroéconomique et social. Ils favorisent la création d’emplois, l’amélioration des compétences locales, la stimulation de l’innovation et la diversification de l’économie. Les zones industrielles et les pôles d’investissement attirent également une main-d’œuvre venue d’autres régions marocaines, dynamisant l’urbanisation et l’économie locale. Cependant, l’enjeu reste de concilier ces effets positifs avec la maîtrise des flux financiers sortants et la protection de la souveraineté économique nationale.
En définitive, la gestion des IDE au Royaume illustre une équation complexe : comment maintenir l’attractivité du pays, stimuler l’innovation et l’emploi, tout en contrôlant les coûts financiers associés à ces investissements ? Les experts recommandent notamment de mettre en place des dispositifs de régulation adaptés, d’assurer une coordination efficace entre les administrations et de renforcer la vigilance sur les flux financiers sortants, afin de maximiser les bénéfices des IDE tout en limitant les risques économiques.