Traumas, trahisons, peur du rejet : le couple peut-il réparer nos blessures d’enfance ?
Et si le couple pouvait panser nos plaies et soigner nos traumatismes d’enfance ? Dans son livre « Quand le couple répare » (Éd. Solar), Maureen Mellet explique qu’ « il n’est pas nécessaire d’être parfaitement à l’aise dans ses baskets pour être en couple ». Thérapeute de couple, elle a créé le principe de « couple allié », une philosophie centrée sur le développement relationnel qui perçoit le couple comme un espace de réparation, d’élévation personnelle. Interview.
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ELLE. Vous écrivez que l’enfance est un point de départ qui construit notre relation à l’autre…
Maureen Mellet. La manière dont je conçois la relation de couple, c’est un espace dans lequel on va particulièrement rentrer en résonance au travers de nos histoires respectives et de notre enfance. La première société dans laquelle on se construit, le premier espace dans lequel on va être blessé, on va être en joie, on va se sentir valorisé, ou au contraire parfois dévalorisé, c’est la famille. Et ça va laisser des traces sur le plan relationnel. Cela va aussi nous conditionner à une certaine vision de la relation, à ce qui est admis, à ce qui n’est pas admis, à ce qui est juste et valorisé, à ce qui est honteux et caché.
ELLE. Vous expliquez aussi que le couple peut réveiller des blessures d’enfance…
MM. Quand on grandit et qu’on vit l’expérience du couple, on rentre dans la relation avec notre facette intérieure d’enfant, qui est plutôt une mémoire holographique de nos blessures, de nos joies, de nos peines, de nos douleurs, des séparations, des compétences qui ont pu être valorisées par nos parents ou du moins nos figures d’attachement. C’est cette facette-là qui va venir tant réveiller notre enfance que celle de notre partenaire.
« Les blessures qui peuvent être réactivées par le couple sont très nombreuses. Ce sont toutes les émotions désagréables restées sans réponse »
Si j’ai grandi dans un système familial qui était très dévalorisant sur les émotions, dans lequel on n’avait pas le droit de parler ou dans lequel la colère n’était pas admise, et que je tombe sur un allié qui est particulièrement insurgé, ça peut exacerber à quel point j’ai refoulé des frustrations de ma propre enfance. Les blessures qui peuvent être réactivées par le couple sont très nombreuses : ce sont toutes les émotions désagréables restées sans réponse, mais aussi les traumatismes de l’enfance. Cela passe par le réveil de sentiments désagréables tels que la peur, le sentiment de rejet, la trahison, la solitude, l’isolement.
ELLE. Malgré tout, le couple peut-il réparer nos blessures d’enfance et nos traumatismes ?
MM. La manière dont la discipline relationnelle du « couple allié » peut restaurer nos blessures de l’enfance, c’est avant tout dans le réveil. Sans ça, il ne peut pas y avoir de réparation. Les crises, les disputes au sein du couple peuvent faire partie du processus de réparation, parce qu’elles peuvent donner l’opportunité de mettre de la conscience. Ensuite, il y a le fait d’apporter une réponse nouvelle. On va alors chercher à gagner contre les différences de l’autre. Ce n’est pas vraiment le « nous » qui entre en jeu, ce sont deux alliances de « je » qui sont centrées sur cette individualité, qui veulent protéger leurs croyances, leur vision du monde, leur histoire.
« On se doit d’être responsable, d’être le gardien ou la gardienne de notre « nous » »
Et puis, il y a ce que j’appelle l’impasse constructive : à un moment donné, les couples vont se retrouver face à une épreuve qui peut leur donner le sentiment de les mettre KO. Pour certains, ça va même mener à une séparation. Mais à ce moment-là, il y a la possibilité d’entrer dans cette initiation à la philosophie « couple allié », en commençant à entrevoir le couple comme un espace de réparation. On se doit d’être responsable, d’être le gardien ou la gardienne de notre « nous ».
ELLE. Vous mettez en lumière l’importance du « nous » dans une société individualiste qui incite à se recentrer sur soi-même et à s’« écouter avant tout ». Pourquoi le lien à l’autre est-il essentiel pour soigner nos plaies ?
MM. Aujourd’hui, on est vraiment dans un système centré sur le développement personnel, on est beaucoup sur le « je », sur le « moi ». J’ai le sentiment qu’on perd la connexion à l’altérité, qu’on se déresponsabilise beaucoup et qu’on n’a plus vraiment conscience qu’en face de nous, on a aussi un être humain. Pour moi, on se doit d’être responsables, parce qu’on va avoir de l’impact sur la femme ou l’homme qu’on aime. C’est dans cette notion de responsabilité amoureuse qu’on va pouvoir apporter des réponses restauratrices. On va commencer à offrir de nouveaux comportements, de nouvelles réponses, une bientraitance, une sécurité, un amour. Et ça ne veut pas dire qu’on ne peut plus se disputer.
ELLE. Qu’en est-il des relations toxiques, d’emprise ou enclines à la violence ? Comment agissent-elles sur nos blessures et nos traumatismes d’enfance ?
MM. Je pense que le couple peut être à la fois l’antidote et le poison. Tous les couples ne réparent pas – certains vont juste réactiver, voire retraumatiser, détruire, sans y apporter de réponse restauratrice. Dans mon livre, je définis plusieurs types de couples. Il y a le couple totalitaire, où les violences sont unilatérales, où l’on est figé dans une relation asymétrique qui va cristalliser les rôles : la victime et le bourreau sont toujours les mêmes. Ce couple est toujours déséquilibré, et le rapport de force ne change pas. C’est un couple extrêmement dangereux tant dans les violences psychologiques que les violences psycho-émotionnelles et physiques.
« On peut vite être enlisés dans ces fonctionnements et ne pas avoir, à ce moment-là, la maturité ou les ressources nécessaires pour en sortir »
Il y a aussi le couple toxique qui, pour moi, est un couple plus « lambda ». Beaucoup de couples sont cristallisés dans ce schéma. Chacun est coresponsable de cette toxicité, le rapport est déséquilibré, mais les rôles peuvent switcher. Cela passe par des violences ordinaires où l’on passe son temps à se foutre sur la gueule et à se violenter moralement, psychiquement, physiquement. Notre relation nous tire vers le bas, il y a une difficulté à apporter de la conscience sur tout ça. On peut vite être enlisés dans ces fonctionnements et ne pas avoir, à ce moment-là, la maturité ou les ressources nécessaires pour en sortir.
ELLE. Quelles sont les clés pour guérir nos blessures à travers le couple ?
MM. Ma première proposition serait déjà d’y croire. Cultiver cet espoir, ce désir de se dire que c’est possible et que ce n’est pas réservé qu’aux autres. Ensuite, entamer une thérapie – individuelle ou de couple. Et ce n’est pas réservé qu’aux gens qui vont mal : je le vois plus comme un voyage initiatique dans lequel on va se découvrir, chercher à comprendre d’où l’on vient, ce qu’on a vécu, ce qu’on a intégré, ce qu’on a compris, ce dont on a peur, ce qu’on désire, quelles nos croyances limitantes. Aussi, j’invite les gens à faire des expériences relationnelles collectives, de la thérapie de groupe, des retraites de couples, des stages. Ça permet de se rappeler qu’on n’est pas tout seul à galérer dans nos histoires familiales, par rapport à notre estime de nous-même et par rapport à notre partenaire qu’on aime mais qui parfois nous insupporte…