Le plaisir anal chez les hommes hétéros, entre promesse d’orgasme fou et enjeux féministes
Sexualité : et si on s’intéressait à l’anus de son partenaire ? Une pratique qui, contrairement à la fellation, au cunnilingus et à la sodomie, devenus des « standards » de notre répertoire sexuel, est loin d’être banalisée. En 2019, un sondage ELLE/Ifop nous apprenait que 22% des Françaises avaient introduit un doigt dans cette partie hypersensible de l’anatomie masculine, une envie occasionnelle pour 9% d’entre elles, régulière pour 2 %. Et si la toute récente enquête nationale « Contexte des sexualités en France 2023 », réalisée par l’Inserm et l’ANRS, observe une diversification des pratiques sexuelles, elle ne fait pas mention de cette dernière. Pourtant, à certains frémissements de l’actualité, constatons que l’idée fait lentement, mais sûrement, son chemin, et que le silence des anus n’est plus de mise. Ainsi, dans « Le Mal joli » (éd. Albin Michel), roman d’une passion adultère, Emma Becker décrit-elle minutieusement et avec un rien de provocation l’anulingus qu’elle administre à son amant, nu, à quatre pattes. Et regrette dans une interview pour « L’express » que « le sexe anal chez les mecs hétéros, ça reste un tabou énorme ». Autre signal faible : une émission de France Culture en mars 2023 consacrée au « point P et à l’orgasme prostatique ». « La consécration : il y a quinze ans, j’étais pratiquement le seul à en parler », précise Adam (un pseudo), fondateur du site consacré à la sexualité Nouveaux plaisirs, invité sur la chaîne ce jour-là. Des épisodes de podcasts traitant du sujet se multiplient (sur Binge Audio ou Spotify), et une bande dessinée intitulée « L’Homme pénétré » (éd. La Boîte à bulles), signée Zoé Redondo et Martin Py, a eu un joli succès en librairie. « En séances de dédicace, des quadras me tapent discrètement l’épaule en me disant « merci » », remarque le scénariste.
La prostate, ce point G masculin qui bouscule les codes
Beaucoup d’agitation pour pas grand-chose, diront les sceptiques, comme Claire, 42 ans, totalement réfractaire à l’idée de plonger un majeur ou la langue dans les tréfonds obscurs et possiblement insalubres de son compagnon. « Pour moi, c’est » l’anus horribilis » ou le doigt coupefaim, j’aurais trop peur de tomber sur les restes de notre dîner », dit-elle, franche. Un argument balayé par la Dre Céline Causse, autrice de « La Sexualité masculine dans tous ses ébats » (éd. Fayard) : « Il n’y a pas plus de bactéries dans l’anus que dans la bouche ou dans le vagin. En fait, quand on a envie d’aller à la selle, c’est que l’ampoule rectale est pleine. Si on n’a pas envie, c’est qu’elle est vide et qu’une pénétration anale peut se faire. On n’a même pas besoin de faire un lavement.
« Je crois qu’ensuite on comprend mieux comment fonctionne l’orgasme féminin »
On peut commencer par nettoyer son partenaire avec un coton imbibé d’huile de coco et appliquer un morceau de préservatif entre sa langue et l’anus. » Bien sûr, si on n’en a nulle envie, inutile de se forcer. Mais sachez que, chez l’homme comme chez la femme, l’anus et la paroi rectale sont des zones richement innervées et sources potentielles d’orgasme. « J’adore quand la fille me fait une fellation tout en me mettant un doigt dans le cul, c’est parfois ma seule manière de jouir », affirme Thomas, 32 ans. « La première fois que j’en ai entendu parler, c’était à Los Angeles, raconte Anna, 40 ans. Je travaillais dans un milieu de la tech très masculin, et très investi aussi dans tout ce qui est spirituel. J’étais la « Frenchy » qui débarquait, et les quelques femmes qui travaillaient avec moi ont voulu me donner, sans tabou, quelques tips sexuels. À mon grand étonnement, le doigt dans l’anus était tout aussi incontournable que la fellation. J’avais un petit frein par peur d’être maladroite. Je m’y suis mise et, de retour en France, je le propose souvent à mes amants français, qui adorent. »
Mais ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : ce « buzz » soudain autour de l’anus masculin est l’arbre qui dissimule la forêt. Car les hommes ont un truc en plus que les femmes, et ils le savent bien : leur prostate. Bien stimulée, cette glande en forme de cœur, située sur la paroi antérieure du rectum (à deux phalanges de l’anus) et productrice du liquide séminal qui va se mélanger aux spermatozoïdes pour former le sperme, peut provoquer un orgasme très profond et très intense dont les heureux bénéficiaires parlent avec des trémolos dans la voix. « Une sensation de chaleur envahit tout le corps, très progressivement, et ça dure longtemps, explique Martin Py. Il y a aussi un effet d’évanouissement, de perte de contrôle total. » « Avec l’orgasme prostatique, on atteint vraiment un sommet de plaisir et on ne voit plus l’orgasme de la même manière », témoigne un anonyme sur le site Nouveaux plaisirs. Pour faire ce qu’on appelle un massage prostatique, «il faut y aller lentement, prendre le temps d’explorer la prostate avec les doigts ou avec un sex-toy spécialisé, plugs anaux ou stimulateurs de prostate vibrants ou non vibrants, évidemment lubrifiés, préconise la Dre Céline Causse. La stimulation se fait par pressions ».
Adam, précurseur d ’une cause dont il a fait son cheval de bataille, a écrit tout un ouvrage, « Le Traité d’Aneros. La découverte et l’exploration du plaisir autour de la prostate », disponible gratuitement sur son site, déjà téléchargé 400 000 fois. Il y décrit scrupuleusement le mode d’emploi et les effets des sex-toys dédiés de la marque américaine Aneros, la meilleure selon lui, car créée par des scientifiques. « Au départ, des médecins cherchaient des outils pour le massage prostatique, utile pour soulager certaines pathologies. Devant le retour d’expérience des patients qui avaient eu un orgasme, une marque grand public a été mise sur le marché », explique celui qui a aussi lancé, avec une sexothérapeute, des ateliers d’initiation au plaisir prostatique, fréquentés en majorité par des couples et des hommes hétéros. Pour ce prosélyte convaincu, la découverte de cet orgasme méconnu, qu’il recommande d’abord d’explorer seul, en enchaînant exercices de détente et respirations profondes, fut une révélation.
« C’est une manière de déconstruire les relations hétéros et c’est plus égalitaire »
Pour lui comme pour les vingtenaires « qui découvrent la sexualité et font feu de tout bois », les quadras « qui s’ennuient un peu dans le schéma sexuel classique » ou les septuagénaires « pour qui l’orgasme prostatique a révolutionné la sexualité puisqu’on n’a pas besoin d’avoir une érection pour le ressentir ». « Un truc de fou, car cela ressemble à l’orgasme féminin, reprend-il. Il dure plus longtemps que l’orgasme traditionnel, il monte en intensité au fur et à mesure qu’on l’expérimente, on peut enchaîner jusqu’à trente orgasmes en une seule séance, et il demande un grand lâcher prise. Je crois qu’ensuite on comprend mieux comment fonctionne l’orgasme féminin, on donne plus de plaisir à sa partenaire, et cela peut changer la dynamique de couple. » Une réciprocité qui ravit certaines féministes pures et dures comme Laure, 35ans : « Mettre la langue ou les doigts dans l’anus de mon copain, cela remet les pendules à l’heure. Cela montre qu’il n’y a pas que les femmes ou les hommes gay qui sont pénétrables. C’est une manière de déconstruire les relations hétéros, et c’est plus égalitaire. » Du win-win, en somme.
Génération Y : vers une nouvelle approche du plaisir masculin
Reste que la pratique, qui demande aux hommes hétérosexuels de renoncer au contrôle et de se laisser pénétrer, est taboue dans une société encore très sexiste et homophobe. Lorsque Martin Py, jeune étudiant dans une école de bande dessinée à Marseille, a pitché « L’Homme pénétré » pour son projet de fin d’année, il a été accueilli par un silence glacial. « Deux conversations m’en avaient donné l’idée, relate-t-il. L’une avec ma colocataire féministe, qui m’avait dit qu’elle n’aurait plus de rapports sexuels avec des hommes si elle ne pouvait pas en retour les pénétrer avec ses doigts, un propos qui m’avait étonné par sa radicalité. Et l’autre avec un ami hétéro qui m’a confié qu’il se masturbait les fesses depuis qu’il était ado, et qu’il n’osait pas en parler, sauf à moi car je suis gay. » Pour le scénariste, qui a reçu six cents réponses aux questions qu’il a postées sur son compte Instagram pour nourrir son enquête sur le sujet, le tabou, étonnamment, persistait aussi bien dans la communauté gay que chez les hommes hétérosexuels, dont la plupart pratiquaient la pénétration anale sans oser en parler autour d’eux. « J’ai demandé aux sondés pourquoi ce sujet était un problème, explique Martin Py. Et gays comme hétéros m’ont répondu : l’hygiène, la douleur, l’orientation sexuelle, le questionnement sur la virilité et l’identité de genre. C’était très surprenant. » « Le tabou de l’homosexualité est encore très fort, confirme la DreCéline Causse. Tout comme celui de la sexualité anale en général. »
S’il refuse pour autant d’être dans les injonctions, pour Martin Py, envisager ce genre de rapports dans les couples hétéros pourrait cependant être un enjeu féministe, antipatriarcal et d’utilité publique. « En tout cas, c’est un bon moyen de sortir d’une reproduction de l’hétéronormativité avec une sexualité pénétrative obligatoire. La pénétration anale est une porte d’entrée pour parler de plein de choses dans notre société. »
« La génération des 20-30 ans est complètement détente avec ça, et je trouve ça très bien »
Pour Carmen, 38 ans, qui pratique aussi bien avec les doigts, la langue qu’avec un « strap on » (gode-ceinture à l’ergonomie étudiée pour le massage prostatique), l’anus masculin est un ami qui nous veut du bien. « La génération des 20-30 ans est complètement détente avec ça, et je trouve ça très bien. Car, avec le plaisir prostatique, l’orgasme est décuplé par rapport à la façon traditionnelle de faire l’amour. Tout le monde devrait s’y mettre. » Que les amateurs lèvent le doigt !