Santé

En corps heureux : « Je ne suis pas “courageuse” parce que je suis grosse et que je porte une jupe ! »

« J’adore le fait que tu t’assumes », voilà une phrase que je déteste. Je me souviens d’une soirée avec des amies, on dansait sur une place de village. J’avais une petite jupe noire, un haut blanc, des talons. Une dame s’est approchée de moi et m’a dit « Bravo, tu es courageuse de t’assumer comme ça, c’est super ! Moi je pourrai pas mais wow c’est trop bien… » Je suis restée polie et j’ai souri sans rien dire. Mais ces mots sont abominables. Je ne suis pas courageuse parce que je suis grosse et que je porte une jupe ! J’ai des difficultés avec mon corps, une relation tendue et conflictuelle avec lui parfois, mais je ne considère pas que prendre soin de moi c’est « assumer » cette relation belliqueuse. J’essaie juste de faire au mieux avec. Pour moi, on « assume» quelque chose qui ne va pas, donc cette idée me révolte. D’ailleurs, ironiquement, quand c’est moi qui évoque mon corps et mon poids, j’entends souvent des gens me répondre – avec une hypocrisie peut-être inconsciente – « mais nooooon t’es pas grosse ». Je m’habille tous les matins et me déshabille tous les soirs, je sais à quoi je ressemble et également ce que l’IMC (même si c’est pas le système le plus fiable) et la balance me disent ! Bon, on me dit aussi souvent que je suis « bien proportionnée ». Je suis assez d’accord globalement avec ça, je trouve que chaque chose est à sa place. C’est juste que… chaque chose prend beaucoup de place. 

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MARCHER SUR DES BRAISES

Avant d’être directrice artistique, et 80 % du temps derrière un bureau, j’ai fait des métiers un peu plus physiques ou contraignants. Quand j’étais en restauration rapide, j’avais des douleurs constantes dans les pieds, une impression de marcher sur des braises, l’horreur ! Et on m’a souvent fait comprendre que j’étais trop grosse pour les différents jobs de serveuse et vendeuse que j’ai pu faire plus jeune. Des postes où l’apparence est indiscutablement prise en compte, même si on ne se l’avoue jamais. On m’a aussi beaucoup discriminée en entretien d’embauche, en insinuant que je ne tiendrai pas certains rythmes etc… Une célèbre marque de glacier, notamment. J’avais deux ans d’expérience comme serveuse dans ce même genre d’établissement. L’entretien a principalement tourné sur le fait que les plateaux étaient lourds et qu’il y avait des escaliers. J’ai passé vingt minutes à rassurer la personne en face de moi en lui disant que je maîtrisais, que j’avais fait ça pendant deux ans et que malgré mon physique je suis assez sportive, je soulève des poids assez lourd à la salle donc je ne risque pas d’avoir peur de quelques plateaux de glaces… Je n’ai pas été prise, sans grande surprise.

JUSTIFICATIONS BANCALES

Parfois c’est plus subtil. Dans le dernier job alimentaire que j’ai occupé, mon ex-patron m’a fourni une tenue de travail pour homme bien trop grande et n’a pas voulu commander une tenue à ma taille, au cas où je ne resterai pas. En gros, il estimait qu’il achèterait une tenue uniquement pour moi et que si je ne restais pas, la tenue ne servirait plus à rien. Cela va de soi, il a eu raison, j’ai quitté rapidement son établissement… pour d’autres raisons. La question du poids n’a jamais été formulée directement parce que c’est illégal et j’aurai pu me retourner contre mes interlocuteurs. A la place, j’ai surtout eu à faire à des excuses bêtes, des justifications bancales… Au final, le seul endroit où je n’ai pas été discriminée c’était derrière mon petit bureau, assise en vrac, maintenant que je suis directrice artistique. 

SEXUALISÉE TRÈS TÔT

J’ai eu de la poitrine assez jeune, ça m’a valu d’être harcelée au collège, des questions pour savoir si je « rembourrais » mon soutien-gorge, et même un pari pour sortir avec moi. Un garçon m’a fait croire qu’il était amoureux, puis m’a asséné pour bien m’humilier : « ton corps oui, ta tête non ». J’avais 12 ans, j’ai longtemps ruminé cette phrase, elle a eu un énorme impact sur la manière dont je me percevais. Il n’y avait pas simplement la question des complexes, comme mes avants-bras que je jugeais rondouillets, mais aussi le problème d’être sexualisée très tôt. La moindre peau de mon buste qui apparaissait était un calvaire. Il suffisait qu’un haut soit un peu échancré pour que je refuse de le porter. T-shirts à col rond, cols roulés… je ne mettais que ce qui pouvait cacher ma poitrine. Ensuite j’ai vécu une relation toxique pendant laquelle j’ai pris beaucoup de poids. Je suis entrée dans la case « obésité » en très peu de temps, et je n’ai jamais réussi à en sortir depuis dix ans.

BELLE DANS SES PROPRES YEUX

Surpoids, pression et violence psychologique de cette relation…  Je ne me trouvais plus jolie, je ne voyais plus de nécessité à prendre soin de moi. Il m’a fallu du temps pour retrouver la coquetterie que j’ai perdue ces années-là. Récemment, j’ai décidé qu’il valait mieux sublimer ce corps avec lequel j’ai un rapport si belliqueux. Et aujourd’hui, mon fiancé me complimente quand je prends soin de moi, quand je porte des jolies tenues, quand je me maquille, quand je prends le temps de me coiffer etc. Ça parait dérisoire, mais ça fait du bien de se sentir belle dans les yeux de quelqu’un d’autre. Ça permet de commencer à se sentir belle dans ses propres yeux. 

INVINCIBLE OU PLOMBÉE

J’essaie de me connecter à mon corps de plus en plus, mais ça reste en dents de scie. Parfois, quand je me sens bien, je me trouve invincible, incroyable, mon corps est une armure. Et quand ça ne va pas trop, il devient quelque chose de lourd à traîner, d’informe et de pas très glamour. Endométriose, SOPK, syndrome de l’intestin irritable et trouble déficitaire de l’attention… J’accumule pas mal de problèmes de santé, qui me causent des douleurs chroniques. Parfois, je déteste mon corps et j’ai l’impression que c’est réciproque. J’essaie d’en voir le positif, d’en prendre soin. Mais chaque jour de douleur me rappelle que ce corps, il est jeune, mais ne fonctionne pas bien. 

ENTOURAGE BIENVEILLANT

Finalement, j’ai surtout souffert du regard social, des inconnus sur mon corps. Pas de mes proches. J’ai la chance d’avoir un entourage bienveillant qui s’inquiète plus de ma santé que de mon apparence. Je n’ai jamais vécu de régime forcé ou quoi que ce soit de déplacé de la part de ma famille. Ma mère m’a toujours soutenue dans ma perte de poids sans développer de la toxicité, elle me faisait part de ses avis uniquement quand je le lui demandais. Beaucoup de mes proches comprennent les problématiques des femmes. Ma grande sœur aussi souffre de SOPK et d’endométriose. Du coup notre mère s’est pas mal renseignée sur le sujet et nous pose des questions quand on en parle. Elle s’investit beaucoup pour comprendre nos difficultés et les problématiques auxquelles on peut faire face. Idem avec mes ami.e.s, on parle beaucoup de notre santé, on se soutient mutuellement.

DURES À VIVRE

Mais malgré toute cette écoute, tout ce dialogue, ces difficultés restent dures à vivre au quotidien. La fatigue, l’impact des règles douloureuses, savoir que toute grossesse sera difficile, tout ça joue sur mon moral. Je suis féministe, je ne réduis aucune femme à sa condition de mère, je ne souhaite même pas encore avoir d’enfant pour le moment… Mais le simple fait qu’une partie de mon corps « m’interdit » d’avoir le choix ou non d’avoir des enfants m’a dévastée. Quand j’ai été diagnostiquée, j’ai fondu en larmes au téléphone avec mon fiancé. En m’excusant de ne peut-être pas pouvoir lui offrir une vie de famille plus tard à cause de tous ces troubles qui me handicapent. Il a eu une réaction qui m’a confirmé que c’était bien l’homme de ma vie. M’annonçant que je n’avais pas à m’excuser, qu’il me soutiendrait et que si nous voulions des enfants et que mon corps m’en empêche, on fera autrement. Je ne pouvais pas me sentir plus écoutée et soutenue.  

LE POIDS D’ANNÉES DIFFICILES

L’histoire de mon poids n’est pas très belle. C’est d’abord celle de nombreuses années difficiles dès l’enfance, que je saupoudrais de sucre. Petite, je dépensais mon argent de poche dans de gros paquets de bonbons que je cachais dans ma chambre pour les manger en cachette. Je savais que c’était mal, que je me ferais disputer par mon père s’il les trouvait et j’avais un sentiment immense de culpabilité. À cette époque, je vivais chez mon père, ma mère était à plusieurs centaines de kilomètres, elle ne savait rien de mon alimentation quand je n’étais pas chez elle. Mais je ne pouvais pas m’en empêcher, le sucre c’était réellement une drogue, un besoin. Il m’a fallu une thérapie, bien plus tard, pour comprendre que ces actions étaient les prémices de mes troubles du comportement alimentaire.

INSCRIT DANS MES VISCÈRES

Mon poids, c’est aussi le résultat de cette fameuse relation toxique que j’ai vécu et de la perte de confiance totale en moi que ça a engendré. Et ce que je trouve assez triste, c’est que la souffrance est révolue, mais que le poids est resté. Ces années sont comme inscrites dans mes viscères. J’ai vécu ça comme une tragédie jusqu’à assez récemment. J’ai pris la décision qu’il était temps de mettre fin à cette détestation permanente de moi. J’ai pris une coach sportive qui m’aide à apprécier mon corps et à le construire grâce à la musculation. J’apprends aussi à l’aimer non pas pour ce qu’il représente, mais pour ce qu’il est capable de faire. Mes performances à la musculation me permettent de me dire « mon corps est fort ». Quand je soulève mes poids (que ce soit 10 kg comme 80), j’ai une vraie sensation de puissance et d’euphorie.

MARCHER MOINS DOULOUREUX

J’ai tendance à me trouver plus jolie en hiver parce que je peux remodeler mon corps avec les vêtements. Les mouvements sont également moins douloureux. Et comme je ne souffre pas de la chaleur, je suis aussi plus active, ce qui irradie positivement sur le quotidien, la confiance en soi. Du coup, l’été c’est une autre paire de manches, sans mauvais jeu de mots. Cette saison est synonyme d’inconfort, elle me rappelle à quel point mon corps peut peser, être « handicapé ». Au fur et à mesure que le mercure monte, ma relation avec mon corps commence à être belliqueuse. Dans cette chaleur qui vous engourdit, chaque action est lourde et difficile. J’ai mal aux jambes, chaque vêtement que je porte met en exergue mes complexes ou provoque des irritations. À cause des frottements, mes cuisses saignent si je ne mets pas de short sous ma robe. Et je transpire beaucoup, aussi.

CAUCHEMAR OLFACTIF

La transpiration, c’est un vieux complexe. Particulièrement désagréable en été. Peu importe le nombre de douches, de couches de déo et de parfum, la fin de journée est un cauchemar olfactif. Du coup comme je travaille dans un bureau, je suis en état de malaise et d’alerte permanents, en sachant que tout ce que je peux avoir sur moi pour remédier au problème peut ne pas suffire. Je n’ai pas l’esprit tranquille.
 

REBOOSTÉE

En plus des coupes « crop » ou moulantes que je ne trouve pas du meilleur effet sur moi, certains vêtements sont juste désagréables à porter. J’ai donc circonscrit une courte de liste de fringues qui concilient le confort, l’aisance et une sobriété élégante. Ça se finit souvent en longue robe noire ! Ça me permet de ne pas souffrir et de me sentir belle, ou en tout cas, bien habillée. Pour le maquillage, j’essaie de le sanctuariser tous les jours, mon liner, mon rouge, c’est un rituel « cocooning » pour moi. Avec tout ça, je me sens reboostée et j’oublie un peu les conflits que je peux avoir avec mon corps.

RÉSISTANCE

Si on considère que la douleur se place sur une échelle de 1 à 10, mon 5 correspond à un 7-8 de quelqu’un de « classique » vu qu’avec mes troubles, je me suis habituée à un certain degré de douleur quotidien. Et a contrario, à cause du TDAH, j’ai parfois des moments d’hypersensibilité sensorielle qui font que je ne supporte aucun frottement de vêtement, aucune caresse. Comme si ma peau brûlait. C’est très étrange et compliqué car ce n’est pas permanent et régulier. Concernant l’effort physique, je vois les limites de mon corps assez rapidement à cause des douleurs et de l’essoufflement.  Ça m’a beaucoup frustrée dans le passé, mais aujourd’hui j’apprends à accepter ces limites car c’est de cette manière que je pourrai adapter mon environnement et mes actions à mon corps.
 

DU VISAGE AU CORPS

Aujourd’hui, c’est mon corps qui me pose problème, alors que quand j’étais plus jeune, c’était le visage. Des lèvres que je ne trouvais pas assez pulpeuses, un nez en trompette que je supportais mal à l’adolescence, parce que des garçons l’avaient critiqué. Et qu’on m’avait fait remarquer les poils qui en sortaient. Aujourd’hui, mes lèvres me permettent d’embrasser, mon fiancé trouve mon petit nez mignon, et puis j’ai beaucoup de compliments sur mes yeux, dont j’ai toujours aimé la forme et la couleur… J’espère sincèrement qu’un jour tout sera en harmonie et que plus rien ne me posera problème ! 

PETIT SINGE

Plus jeune, j’avais aussi honte de mon oreille droite qui est un peu décollée, certains enfants me comparant à « un petit singe ». Ça semble mignon, dit comme ça, mais je détestais ça. Mes parents m’avaient même dit que plus tard je pouvais me la faire recoller si vraiment je le vivais trop mal. Ces mots avaient le don de me rassurer, je me disais « ok, il y a une solution et je verrai quand je serai plus grande ». Le temps à fait son travail et finalement, aujourd’hui, il y a un tatouage dessus que j’adore exhiber !

TATOUÉE ET CASSE-COU

Inconsciemment, j’ai fait tatouer chaque partie de mon corps sur laquelle j’avais des complexes. Mes mollets, mes avants-bras, mon oreille décollée, ma poitrine… Tous portent un ou plusieurs tatouages que je suis fière de montrer. J’ai aussi fait la paix avec une grosse cicatrice sur le genou, héritée d’un accident de moto cross. Je me souviens avoir fondu en larmes en demandant à mes parents : « est-ce que je trouverai un mari plus tard avec ça ? ». C’est super triste comme souvenir et je me souviens d’en avoir terriblement souffert à tel point que mon père m’a proposé de voir un chirurgien esthétique pour tenter de la faire disparaître. Finalement, je n’ai jamais vu ce chirurgien, j’avais trop peur. Aujourd’hui elle reste nue, me rappelle à quel point ma famille était là, à quel point j’étais casse-cou quand j’étais petite, que je mordais la vie à pleine dent au maximum. Et puis, c’est bête, mais elle me permet de raconter une super anecdote sensationnelle en soirée (Rires). 

OH VOUS ÊTES ENCEINTE !

Que c’est dur la nudité. Je déteste être nue, même seule. Je n’aime pas voir mon reflet dans le miroir quand je sors de la douche, je n’aime même pas voir ma propre ombre quand je suis nue, c’est dire ! Je ne sais pas vraiment si je vois mon corps tel qu’il est vraiment, mais j’ai vraiment du mal à observer ce qu’il est devenu avec le temps, les ecchymoses qui le couvrent à cause des douleurs chroniques, les marques de son évolution et les diverses cicatrices des accidents que j’ai pu avoir. Je ne supporte pas, non plus, qu’on touche mon ventre. Quand mon fiancé me prend dans ses bras et pose ses mains dessus, j’ai tendance à les lui décaler. Et quand je porte des vêtements près du corps, j’aime bien mettre une gaine. Ça m’évite aussi de laisser trop apparaître les états de ballonnements liés à l’endométriose et les « Oh vous êtes enceinte » que j’ai déjà eu par le passé et qui mettent absolument tout le monde mal à l’aise. 

CONSENTEMENT

J’arrive à faire la distinction entre mon corps nu pour une raison intime et mon corps nu pour une raison médicale. Si je suis suffisamment en confiance avec le spécialiste, mon corps devient un objet de recherche et je n’ai plus spécialement de gêne. Et j’essaie toujours d’avoir une tenue adaptée, une brassière chez le kiné/osthéo par exemple etc… Cependant, ça m’est arrivé de tomber sur des spécialistes vraiment très peu agréables. La gynécologue que j’ai aujourd’hui me demande mon consentement pour tout, et ne me fait jamais me déshabiller intégralement. Mais par le passé, j’en ai eu une qui a râlé de devoir soulever légèrement mon ventre pendant une échographie. Ça va de soi : je ne l’ai plus jamais revue. 

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