L’équation périlleuse d’un État-providence en surchauffe à un an des législatives
Alors que le compte à rebours électoral est enclenché, le gouvernement d’Aziz Akhannouch navigue à vue entre les impératifs sociaux de court terme et une soutenabilité budgétaire de plus en plus fragile. À un an des législatives, qui s’annoncent comme un test grandeur nature pour la majorité actuelle, l’exécutif doit composer avec une dépense publique galopante, nourrie par une politique sociale ambitieuse, des subventions coûteuses, et des investissements massifs dans les infrastructures sportives à l’approche des grandes compétitions internationales.
Au cœur de cette tension budgétaire : la subvention du gaz butane, symbole d’un modèle redistributif hérité, mais de plus en plus contesté dans sa forme actuelle. Selon le ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaa, le soutien à ce combustible domestique pèse plus de 15 milliards de dirhams par an sur les finances publiques. Chaque bonbonne de 12 kg bénéficie d’une aide moyenne de 62 dirhams, un effort colossal pour maintenir artificiellement bas le coût de l’énergie domestique dans un pays où une large partie de la population reste vulnérable à la volatilité des prix.
Malgré cette charge, le gouvernement n’envisage pas de relever les tarifs. Dans une réponse au Parlement, Fouzi Lekjaa a défendu une politique de « stabilité sociale », tout en rappelant que les hausses récentes de 2,5 et 10 dirhams sur les bouteilles de 3 et 12 kg sont intervenues uniquement après la mise en œuvre du nouveau système d’aide sociale directe lancé en décembre 2023. Une période de transition de quatre mois a été aménagée pour amortir le choc auprès des ménages les plus modestes.
Mais ce réajustement tarifaire, que certains au sein de la majorité qualifient de « symbolique », intervient dans un contexte bien plus vaste de reconfiguration de l’État social marocain. Car, pour Lekjaa, le basculement vers l’aide monétaire directe est « une rupture de paradigme ». L’objectif : cibler les subventions en fonction des besoins réels, plutôt que d’alimenter des dispositifs universels considérés comme inefficaces.
Derrière ce changement de cap, un chiffre : 25 milliards de dirhams. C’est le montant que Rabat entend injecter pour soutenir 3,9 millions de familles, à hauteur de 500 à plus de 1 500 dirhams par mois selon les profils. Le Haut-Commissariat au Plan, cité par le ministre, relativise l’effet inflationniste de cette politique, estimant à 18 dirhams seulement le coût additionnel mensuel pour les foyers les plus défavorisés, soit 3,6 % de l’allocation minimale.
Cette approche volontariste, bien que saluée sur le plan du ciblage social, ne dissipe pas les inquiétudes sur la trajectoire globale des finances publiques. En parallèle du soutien aux ménages, l’État a débloqué pas moins de 20 milliards de dirhams pour stabiliser le secteur agricole à travers deux campagnes successives, avec un plan d’urgence supplémentaire en préparation pour la saison 2024-2025. Ce volontarisme intervient dans un climat d’inflation persistante, où l’enjeu de la souveraineté alimentaire se heurte à la raréfaction des ressources hydriques et à la fluctuation des marchés mondiaux.
Mais au-delà de la politique sociale, un autre poste budgétaire suscite de vives discussions : les investissements liés aux grandes échéances sportives à venir, en particulier la Coupe d’Afrique des Nations 2025 et la Coupe du Monde 2030, que le Maroc coorganisera. Les chantiers se multiplient, entre rénovation des stades existants, création de nouvelles infrastructures, et aménagements logistiques colossaux. Pour beaucoup d’observateurs, ces projets, bien qu’emblématiques de l’ambition internationale du royaume, constituent un gouffre financier à court terme.
L’équation est donc redoutable pour le chef du gouvernement. Entre des dépenses rigides imposées par les impératifs sociaux et des engagements d’envergure dans les secteurs stratégiques et sportifs, le Maroc glisse vers un endettement préoccupant. Le poids de la dette publique, en constante augmentation, fragilise l’équilibre budgétaire et alimente les critiques d’une opposition qui voit déjà dans les prochaines législatives un référendum sur la politique d’Aziz Akhannouch.
À mesure que les échéances électorales approchent, la pression politique se fait plus vive. Le modèle économique et social porté par le gouvernement est-il soutenable ? Peut-il concilier ambitions internationales, cohésion sociale et rigueur budgétaire ? Ces questions, désormais incontournables, dessineront sans doute les lignes de fracture du scrutin de 2026. Une chose est sûre : l’État social marocain, en pleine mutation, devra bientôt répondre de son coût, de sa pertinence et de sa viabilité.