Mes proches et moi : Céline, 41 ans : « J’ai toujours peur qu’il arrive quelque chose à mon fils »
« Mon petit Émile va bientôt avoir 13 ans, s’étonne presque Céline. Je dis » petit « , car même s’il me dépasse pratiquement d’une demi-tête, j’ai l’impression qu’il a toujours 4 ou 5 ans. Je me revois encore avec lui dans mes bras, à la sortie de la maternité et j’ai l’impression que c’était hier. Je n’en reviens pas que le temps soit passé aussi vite ». Cette préparatrice en pharmacie de la région lilloise a beau tenter de se voiler la face, elle sait pertinemment que, à 13 ans, son fils n’est plus un bébé et qu’il a même déjà mis un pied dans l’adolescence. Qu’importe : la quadragénaire n’arrive pas à laisser sa progéniture se débrouiller seul. « Dès qu’il n’est plus à portée de ma vue, j’ai peur qu’il lui arrive quelque chose, lâche Céline, un brin piteux. Je me dis qu’il pourrait se faire renverser par une voiture en traversant la rue (Émile a la fâcheuse habitude d’avoir toujours des écouteurs dans les oreilles, entendrait-il le bruit d’un klaxon, en cas de danger ?) ou se faire agresser par un fou, surgissant de nulle part, quand il rentre de son cours de badminton, à la tombée de la nuit. Quand il pleut, je crains qu’il glisse sur le trottoir et qu’il se casse une jambe, quand il fait un foot avec ses copains, je redoute qu’il prenne un mauvais coup à la tête, et quand il m’aide à préparer le repas, je crains qu’il se sectionne un doigt en découpant la courge du potage. Bref, j’imagine constamment les pires scénarios catastrophes qui, bien entendu, me procurent des sueurs froides et, pour que ça n’arrive pas, j’essaie de maîtriser absolument tout.
« S’il lui arrivait quelque chose, je ne me le pardonnerais pas »
Du coup, et au grand dam de mon mari qui est tout le contraire de moi (il laisse même Émile toucher à ses outils, c’est dire !), je suis presque tout le temps derrière mon fils et, si la situation ne le permet pas (je ne peux malheureusement pas toujours être avec lui), je multiplie en amont les mises en garde et les recommandations en tous genres. Je crois que s’il lui arrivait quelque chose, je ne me le pardonnerais pas ». Lorsqu’elle avait l’âge de son fils, Céline se souvient pourtant qu’elle était déjà très autonome. « Quand je sortais, mes parents ne savaient pas toujours où et avec qui j’étais, confie-t-elle. Et quand il me donnait un horaire limite pour rentrer le soir, il m’arrivait bien souvent de le dépasser. Ça me procurait un sentiment intense de liberté et je suis certaine que ça m’a aussi aidée à être aujourd’hui relativement dégourdie. Je n’ai pas le souvenir que mes retards aient un jour mis mes parents dans tous leurs états. Je ne sais pas si c’est parce que l’époque était différente (le flot de mauvaises nouvelles et de faits sordides n’était alors certainement pas si présent dans l’actualité) mais, contrairement à moi, ils ne semblaient pas voir le mal partout. Ils étaient nettement moins stressés que je ne le suis aujourd’hui. Et encore, Émile n’a que 15 ans et il ne sort pas vraiment le soir.
« À force de lui répéter que le monde est dangereux, je vais juste réussir à faire de lui un adulte anxieux »
J’ai bien conscience que plus il va grandir et plus je vais m’inquiéter. Je ne suis pas du tout au bout de mes peines ». Pourtant, Céline sait qu’en bridant son fils, elle ne lui rend pas service. À force de lui répéter que le monde est dangereux, je vais juste réussir à faire de lui un adulte anxieux et manquant de confiance en lui, reconnaît-elle, à demi-mots. La peur n’a jamais évité le danger. On a tous besoin d’explorer le monde, de se faire ses propres expériences, de prendre des initiatives et, parfois, quelques risques pour être ensuite capable d’oser et de relever les défis. Avant de marcher, un enfant s’essaie, tombe, se remet sur ses jambes. C’est la vie. Je sais tout ça, mais je ne peux pas m’empêcher de m’inquiéter ». Depuis peu, la mère de famille essaie donc de le prendre sur elle et de faire davantage confiance à son fils. « Je ne serai pas toujours là et il faudra bien qu’il vole un jour de ses propres ailes, concède-t-elle.
Une mère anxieuse
Je vois, de toutes façons, qu’il en a marre que je le couve comme une poule couve ses œufs. L’été dernier, il m’a, pendant plusieurs jours, détesté. La raison ? J’avais entendu qu’il allait y avoir de violents orages et j’avais appelé le centre de vacances où, pour la première fois, il séjournait avec des camarades (il avait insisté pendant des mois pour que je le laisse partir), afin d’être sûre que les enfants n’allaient pas dormir sous la tente, cette nuit-là. Les moniteurs l’avaient répété devant tout le monde. Émile était « mort de honte », m’a-t-il dit. Avec le recul, je me dis que je n’aurais probablement pas dû téléphoner. Depuis cet « incident », je me force à lâcher du lest. Quand, le samedi après-midi, il va, par exemple, pratiquer l’escalade avec Tom, son cousin, je suis évidemment morte de trouille (qu’il tombe et se tue, bien sûr), mais je ne laisse rien paraître et je le félicite même de s’essayer à cette nouvelle discipline ! Et quand il me demande, ensuite, s’il peut rester dormir chez Tom, je dis oui, tout de suite. Je lui ai juste acheté un portable, car savoir que je peux entrer en contact avec lui n’importe quand, et surtout qu’il peut me contacter en cas de problème, me permet de dormir sur mes deux oreilles. Ou presque ».